Arts de la scène : aux limites du
théâtre
Didier Galas, La Flèche
et le Moineau /
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Repères
Regard sur le travail de Didier Galas
Comment voyez-vous le travail de Didier Galas ? Comment se sont opérés les liens entre sa pratique et la vôtre ?
Je ne peux pas dire que je suis, depuis longtemps, un passionné de théâtre. La danse, et son langage muet des corps, m’attire davantage. Le théâtre fait une grande place au texte et, de plus, on lui donne souvent une certaine emphase. Didier, justement, n’aborde pas le théâtre en travaillant le phrasé, la déclamation du texte. Pour lui, ce sont des états de corps qui font la présence et la façon dont le texte se fait entendre.
Paroles Horrifiques et Dragées perlées, 2007
De gauche à droite : Fany Mary, Simon Bellouard et Didier Galas
Les acteurs jouent verbalement, visuellement et corporellement avec la langue de Rabelais
© Jérôme Schlomoff
Paroles Horrifiques et Dragées perlées, 2007
Fany Mary et Didier Galas
© Jérôme Schlomoff
Pour vous répondre sur les liens qui se sont opérés entre son travail et le mien, j’évoquerai d’abord le premier spectacle pour lequel j’ai réalisé la scénographie, Paroles Horrifiques et Dragées perlées, d’après Rabelais. Il se trouve que j’étais, comme Didier, un grand lecteur de Rabelais. Quand il a décidé de mettre en scène ce texte nous en avons beaucoup parlé. Il me disait : « j’ai envie de donner à entendre chez Rabelais, non pas certaines de ses visions sur le carnaval, sur la bonne chair, etc., mais sa langue ». Avec ma propre recherche sur les mots, je voyais bien vers quoi il voulait aller, comment faire apparaître, à partir d’une page blanche qui serait la scène, le texte de façon visuelle à travers des états de corps. Quand il m’a proposé d’y participer, il m’a donné pour point de départ l’idée que les acteurs arrivent sur scène comme des performeurs qui vont être là pour donner à entendre du Rabelais d’une façon ludique et jubilatoire. Du coup, j’ai proposé une forme plastique qui, pour moi, est une sculpture, mais qui, sur scène, se trouvait être le support de jeu des acteurs. Ils allaient devoir manipuler cette sculpture, comme je manipule les objets que j’invente dans mes performances, mais à une échelle supérieure, celle de la scène et du spectacle entier.
A quoi ressemblait cette sculpture qui était aussi un support de jeu pour les comédiens ?
Jean-François Guillon, MESS IS MORE, 2008
Exposition, POCTB, Orléans
© Jean-François Guillon
Cet objet se composait d’une grande grille qui s’étendait sur toute la scène, en forme de livre ouvert, noire, assez imposante sculpturalement, et d’un jeu de plaques de bois sur lesquelles étaient peintes, sur les deux faces, des lettres. Tout au long du spectacle, les acteurs formaient des mots en mettant, retournant ou déplaçant les plaques. On comprenait peu à peu qu’ils étaient en train de jouer avec la langue de Rabelais verbalement, visuellement, et corporellement aussi, puisque l’œil du spectateur se raccrochait à cette grille qui était le support de leur jeu. Puis, à un moment, on entrait dans la folie de Rabelais, le carnaval, le renversement des valeurs, car les plaques n’étaient pas seulement support de lettres mais aussi de couleurs toutes différentes, créant un jeu chromatique comme une peinture abstraite.
Didier avait souhaité que l’état de la scène à la fin de la représentation puisse exister comme une de mes œuvres. Cette grille a d’ailleurs été présentée en tant que sculpture dans une exposition. Activée le soir du vernissage au cours d’une performance, son état final, avec des lettres par terre et un texte écrit sur la grille, est resté le temps de l’exposition. Cette sculpture, bien que sa conception ait été déclenchée par le spectacle, a donc une existence autonome.
De Rabelais à La Flèche et le Moineau : une suite logique
La Flèche et le Moineau
© Jean-François Guillon
Comment cette sculpture pour le Rabelais conduit-elle au spectacle actuel, La Flèche et le Moineau ?
C’est une suite assez logique. Notre échange avait tellement bien fonctionné que Didier a souhaité qu’on retravaille ensemble, non plus sur la langue de Rabelais mais sur l’univers littéraire de Gombrowicz, d’après son Journal et son roman Cosmos. La question du sens et du signe traverse toute l’œuvre de Gombrowicz et particulièrement ce roman : cette flèche, qui tout d’un coup s’impose, montre-t-elle quelque chose ? Qui l’a mise là ? Que veut-elle dire ? Ici, le mot sens est à prendre dans toutes ses acceptions : sensation, signification et direction dans l’espace.
Partant sur l’idée d’un spectacle où il y aurait des acteurs et des danseurs, il m’a proposé d’être présent pendant sa période de conception pour réfléchir ensemble sur les rapports entre spectacle et réel, scène réelle et fiction, sur des questions telles que : n’est-on là que pour le spectacle ? est-on acteur juste quand on est sur scène ? danseur quand on est en train de danser ? et moi, qui suis plasticien, allais-je devenir un interprète en montant sur scène ou un spectateur en revenant dans la salle ?
Scène de l’acteur, du danseur, de l’exposition
Jean-François Guillon, Le Signe du singe, dessin, 2000
© Jean-François Guillon
Revenons-en au théâtre et à ses limites. Ce n’est pas nouveau de voir des danseurs sur une scène théâtrale, Shakespeare, entre autres, le faisait déjà.
C’est justement ce qui fonde le désir de Didier de faire du théâtre. S’il a toujours fait appel à des chorégraphes comme participants à ses créations, travaillé avec des danseurs, là, il a voulu aller plus loin en mettant sur un même plan acteurs et danseurs.
Finalement, y a-t-il encore, dans ce spectacle, une scène théâtrale ? Est-ce la même que la scène de l’exposition ? Y a-t-il une scène contemporaine où toutes les formes de scènes s’enrichiraient les unes les autres ?
Il y aurait beaucoup à dire pour répondre à cette question. Sur la conception de la grille du Rabelais par exemple : la forme du spectacle, assez classique, se construisait sur une frontalité qui n’existe pas dans l’exposition. Il s’agissait là de concevoir un objet qui allait être vu sur une face, contrairement à une sculpture autour de laquelle on tourne. La grille vue uniquement de face, avec ses états successifs, répondait aussi à la question de la temporalité. L’état de lumière très particulier sur une scène de spectacle m’a également conduit à jouer avec les costumes et les plaques colorées pour aboutir à un éclatement visuel, un foisonnement de couleurs qui, en même temps, traduisait l’univers de Rabelais.
Avec La Flèche et le Moineau nous avons cherché à dépasser cet espace de la scène. Ainsi, de nombreux éléments de scénographie ne sont pas sur la scène, mais dans la salle, ce qui va dans le sens du texte de Gombrowicz où les personnages se demandent toujours : « Cet objet là, était-il là ou pas tout à l’heure ? » Il s’agissait ainsi que le spectateur puisse se poser la question : « Cet objet a-t-il été mis là parce qu’il fait partie du spectacle ? Et qu’est-ce qu’il veut dire ? Ou est-ce un hasard ? ».
Arts de la scène : aux limites du
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