Arts de la scène : aux limites du théâtre et de la danse
Gisèle Vienne, This is how you will disappear  / 1 2 3 4 5 Repères

 

 

1. Portrait de gisÈle vienne

Entre une présence « vivante » et une présence « image »

Gisèle Vienne


Après des études de philosophie et une formation à l’École supérieure des arts de la marionnette de Charleville-Mézières, Gisèle Vienne développe, depuis une dizaine d’années, un langage d’une grande rigueur plastique et sonore, à la croisée du théâtre, de la marionnette, de la danse contemporaine, des arts visuels et de la littérature. De sa formation, elle garde un intérêt profond pour les rapports entre corps humains et corps artificiels. Bien difficile pour le spectateur de discerner les poupées anthropomorphes qui hantent ses créations des interprètes « vivants », à la présence plus fantomatique encore que celle de leurs partenaires inanimés…
Ses pièces interrogent notre fascination pour les stéréotypes (les mannequins [1], les Lolita [2], les travestis, les jeunes adolescents adeptes de black metal [3], les athlètes [4]…), ainsi que la morbidité érotique qui en découle, la face noire de nos désirs.

Showroomdummies, création 2001/ réécriture 2009
Conception Etienne Bideau-Rey et Gisèle Vienne
Au premier plan, Anne Mousselet
Poupées anthropomorphes ou interprètes vivants ?

 « Ce qui est curieux avec les poupées », explique-t-elle, « c’est qu’elles permettent de concevoir de manière claire ce qu’est un stéréotype, les deux étant des corps dépersonnalisés. Elles engendrent des nœuds dramatiques à partir desquels nos différents fantasmes peuvent circuler. » Confrontés à l’aura étrange de ces objets très particuliers, les interprètes oscillent entre un jeu incarné et désincarné, entre une présence « vivante » et une présence « image ».

L’influence de Georges Bataille

Photo Gisèle Vienne

Fortement marquée par Georges Bataille, l’écriture de Gisèle Vienne lie constamment l’expérience érotique à celle de la mort, telles que l’auteur les a lui-même définies. Pour Gisèle Vienne, la scène – l’art, plus largement – permet, par l’expérience poétique, de nous confronter à ce qui en nous est obscur.

« Ce qui m’intéresse », explique-t-elle, « c’est la question de nos désirs et de nos fantasmes, la manière dont nous sommes capables ou non de les formuler, l’endroit où nous pouvons ou non les satisfaire. Par ailleurs, le sentiment d’indistinction qui caractérise l’expérience poétique décrite dans L’Érotisme [5] se retrouve également au centre du travail. Comme l’écrit Bataille : "La poésie mène au même point que chaque forme de l’érotisme : à l’indistinction, [c’est-à-dire] à la confusion des objets distincts. La poésie nous mène à l’éternité : elle nous mène à la mort, et par la mort à la continuité". »

Une démarche interdisciplinaire

1. Une belle enfant blonde, création 2005
Catherine Robbe-Grillet
Photo Mathilde Darel / © DACM

2. I Apologize, création 2004
Jonathan Capdevielle et Jean-Luc Verna
Photo Mathilde Darel / © DACM

Les créations de Gisèle Vienne sont le résultat de collaborations fidèles avec des interprètes (Jonathan Capdevielle, notamment, issu également de l’école de Charleville et présent dans toutes ses pièces), des auteurs (Catherine Robbe-Grillet ou Dennis Cooper, écrivain et critique d’art américain devenu depuis son dramaturge), un éclairagiste (Patrick Riou) et des musiciens expérimentaux (Stephen O’Malley, Peter Rehberg).
« Avec les collaborations suivies, j’ai le sentiment qu’on essaie à chaque fois de créer une nouvelle manière d’écrire ensemble. Quand je pense aux artistes avec lesquels j’ai envie de travailler, je pense beaucoup à une constellation : quelles tensions se créent entre les différentes propositions ? Il ne s’agit pas là de conflit mais de moteur, une tension toute en douceur qui stimule la création. Pour que la collaboration soit possible, il faut évidemment des affinités, mais il faut aussi des contradictions fortes. Ce sont des artistes avec lesquels je peux partager des questionnements. »

Fervente lectrice d’Alain Robbe-Grillet, la jeune femme dit tirer de l’écriture de ce dernier un goût pour « l’hypothèse ». Ainsi, tend-elle à placer le spectateur dans la position de l’enquêteur, agençant les différents signes qui lui sont donnés, en suivant certains, en délaissant d’autres, pour reconstruire le fil des événements. Plusieurs points de vue étant explorés, le déroulement de la fiction n’est jamais linéaire ou chronologique. Chaque collaborateur, au moyen de son propre médium, participe à l’écriture de cette partition commune.
« L’écriture de Dennis Cooper ou celle d’Alain Robbe-Grillet ont influencé mon travail de manière très forte, à la fois les structures de leurs œuvres et les fantasmes qui les traversent (tous deux dépeignent une expérience imaginée de la mort). La manière dont se construit la pensée et la façon dont s’agencent les mots peuvent tout aussi bien traduire le rapport au corps, par exemple, que les mots eux-mêmes. Ceci est spécifique à ces auteurs et me semble crucial dans le spectacle vivant. Ce n’est pas uniquement ce qui est dit, mais bien la façon dont les choses sont dites qui permet d’en créer une perception, au-delà du texte seul. Le fait de travailler avec un écrivain a, pour ces raisons, fortement marqué notre travail dramaturgique au sens large du terme. »

 

[1] Showroomdummies, 2001/2009
[2] Une belle enfant blonde, 2005
[3] Jerk, 2008 ; Kindertotenlieder, 2007 ; I Apologize, 2004
[4] Éternelle idole, 2009 ; This is how you will disappear, 2010
[5] Georges Bataille, L’Érotisme, Paris, Les Éditions de Minuit, 1957

 

 

 

 

 

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