L’art contemporain
dans les collections du Musée

Accrochage 2012-2013, niveau 4

Début du contenu du dossier

Joseph Beuys, Fonds VII/2, 1967 / 1984 (détail)

Joseph Beuys, Fonds VII/2, 1967 / 1984 (détail)
Installation. Feutre gris, cuivre, 195 x 455 x 643 cm
Située à l’entrée du Musée, l’œuvre de Joseph Beuys Fonds VII/2 accueille le visiteur. Perplexe,
il s‘interroge. On dirait des fondations, quelque chose est-il en cours d’installation ?…

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Ce dossier propose un parcours dans les collections contemporaines du Musée national d’art moderne. Après une présentation des quatre œuvres qui, dès l’entrée du Musée, accueillent et interpellent le visiteur, une importante séquence historique est consacrée aux avant-gardes des années 1960-70 et aux courants « postmodernes » des années 1980. Puis, un focus sur Les Fruits de la passion, œuvres acquises par le Musée grâce à la Société des amis du Musée national d’art moderne, présente les toutes dernières tendances de la création. Enfin, aux lisières des arts plastiques, des œuvres de design ainsi que quelques projets d’architecture mettent l’accent sur la dimension prospective de ces disciplines.

Les collections du Musée possèdent actuellement (premier trimestre 2013), toutes disciplines confondues (arts plastiques, architecture, design, installations, vidéos, films…) plus de 99 000 œuvres. Régulièrement renouvelées dans les espaces du Musée, ces œuvres sont présentées sous formes d’accrochages où se répondent salles thématiques, salles monographiques et présentation chronologique.
Le 4e niveau est dédié à l’art contemporain à partir des années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Le 5e niveau à l’art moderne à partir de 1905 − le fauvisme − jusqu’à 1960. Un découpage qui paraît aujourd’hui souvent artificiel et dont la frontière montre la porosité.
Réalisé pour sa majeure partie en s’appuyant sur l’accrochage des collections contemporaines (premier trimestre 2013), ce dossier intègre, en effet, l’op art et le cinétisme  dont les œuvres sont regroupées dans les collections modernes ainsi qu’un chapitre sur le Body art.

Dans ce parcours, nous aurons délaissé la peinture, le film et les nouveaux médias, sur lesquels des dossiers spécifiques ont déjà été réalisés.
Où en est la peinture aujourd’hui ? Accrochage dans les collections contemporaines.
Le film. Collection
Les nouveaux médias. Collection

Quatre œuvres manifestes Retour haut de page

Dès l’entrée du Musée, quatre œuvres interpellent le visiteur. Quatre œuvres manifestes, d’une grande diversité formelle : une sculpture en noir et blanc, plus proche d’un écran cinématographique que d‘une œuvre à trois dimensions ; une installation qui, par ses matériaux et son aspect inachevé, interroge d’emblée le visiteur ; un container carrelé de blanc, musée dans le musée, donnant à voir une œuvre à l’intérieur de ses murs ; enfin, une grande toile montée sur châssis, d’où semble se détacher un nuage rouge de sang, faisant référence à la mythologie. Sculpture presque plate, installation en cours d’installation, container revisité, toile gribouillée, partout un hiatus informe le visiteur que quelque chose est en train de se passer.

Jean Tinguely Retour haut de page

1925 Fribourg (Suisse) - 1991, Berne (Suisse)

Nous sommes au seuil du Musée national d’art moderne, devant Requiem pour une feuille morte de Jean Tinguely. Une œuvre de plus de 11 mètres de long, tout en silhouette, très éclairée, composée de roues, de poulies, de traverses en bois, de courroies de cuir, de tiges en acier, de boulons…

Jean Tinguely, Requiem pour une feuille morte, 1967

Jean Tinguely, Requiem pour une feuille morte, 1967
Acier et bois peints, cuir, 305 x 1105 x 80 cm
Œuvre cinétique animée par un moteur et composée de roues, de poulies, de traverses en bois peint, de courroies de cuir, de tiges en acier et de boulons

Jean Tinguely est un sculpteur suisse. Cette mécanique va se mettre en marche toutes les heures comme si c’était une machine. Elle va actionner, dans le coin droit, en bas, une petite spirale sur laquelle est greffée une feuille qui va être prise dans un tourbillon, un tourbillon d‘automne. Elle va rendre visible l’invisible, en montrant cette feuille entrainée par son propre destin.

En même temps, l’œuvre ressemble à un écran, lumineuse et contrastée, proche d’un film en noir et blanc. Les engrenages de sa composition font penser aux Temps modernes de Charlie Chaplin et certaines de ses roues ressemblent à des bobines de projecteurs cinématographiques. Roue à essieu, roue du destin, roue du spectacle, poulie, spirale, il n’y a pas deux roues identiques… Cette œuvre est belle et tragique. Elle est une ode à la machine et l’expression d’une mélancolie. Et la petite feuille, c’est peut-être nous !

Dans cette œuvre il y a une vision du destin et, en même temps, une réflexion sur sa propre fabrique.

Jean Tinguely, Requiem pour une feuille morte, 1967 (détail 1)Jean Tinguely, Requiem pour une feuille morte, 1967 (détail 2)Jean Tinguely, Requiem pour une feuille morte, 1967 (détail 3)

Requiem pour une feuille morte, 1967 (détails)
Roue à essieu, roue du destin, roue du spectacle, poulie, spirale…

Nous pourrions dire que cette sculpture est constructiviste : chaque élément qui la constitue établit des rapports de force et de tension avec les autres. La composition est classique, ordonnancée, graphique, rythmée. Elle englobe un des principes de la modernité des années 1960-70 : pour reprendre l’expression de Michel Foucault, cette œuvre est « une pensée qui se pense », une architecture où la structure, les fonctions sont mises à vif. Vue de côté ou de face, rien n’est fait pour cacher son mécanisme. Par là, elle est moderne.
Par sa monumentalité, sa polysémie, son humour − quand la machine se met en marche, cela devient spectaculaire comme une locomotive qui entre en gare −, elle réunit plusieurs aspects propres à l’art d’aujourd’hui.

Quand nous regardons rétrospectivement le cubisme, le futurisme, par exemple, nous voyons bien comment les œuvres s’accordent à leur époque à travers leur composition et points de vue, l’intégration dans leurs formes de la vitesse et de la lumière… Pour l’art contemporain, nous n’avons pas encore toutes les clés. Mais, déjà, Tinguely apparaît un témoin lucide de notre société.

Requiem pour une feuille morte, 1967 (détail)

Requiem pour une feuille morte, 1967 (détail)
Située à droite, en bas de l’œuvre, une petite feuille morte, greffée sur une spirale…

Avec ses amis nouveaux réalistes, Arman et ses empilements d’horloges ou de voitures, César et ses compressions, Tinguely porte un regard à la fois ironique et poétique sur la société de l’objet et son rapport à la mort. Si Requiem ne s’autodétruit pas, au contraire de certaines de ses œuvres comme l’Hommage à New York, il met en route une énorme machinerie pour un très petit effet, toute l’énergie d’une machine pour mouvoir une feuille.
Dérision de l’objet, des forces telluriques de l’industrie, d’un certain intellectualisme aussi. De par leur sensibilité, les artistes annoncent ce qui n’est pas encore dans la conscience générale. L’art, et l’art contemporain en particulier, est fait pour permettre de mieux vivre les questions sans attendre les réponses.

Joseph Beuys Retour haut de page

1921, Krefeld (Allemagne) – 1986, Düsseldorf (Rfa)

Située à l’entrée du Musée, juste après les portillons d’accès, l’œuvre de Joseph Beuys, Fonds VII/2, accueille le visiteur qui avance, perplexe, se demandant : le Musée est-il en travaux ?

Joseph Beuys, Fonds VII/2, 1967 / 1984

Joseph Beuys, Fonds VII/2, 1967 / 1984
Installation
Feutre gris, cuivre, 195 x 455 x 643 cm
Huit piles (de plaques) de feutre, dont sept sont couvertes de plaques de cuivre avec poignée. Egalement en cuivre, deux massues à long manche sont appuyées contre deux piles de feutre.
Un ruban en cuivre relie entre elles plaques et massues

Fonds VII/2 fait partie d’une série intitulée Fonds, travaillée par Beuys de 1954 à 1984. Au sol, sont posés huit entassements de feuilles de feutre, de 1,5 cm environ chacune, du feutre industriel qui sert pour les isolations. Chacune des piles – à l’exception des deux « tours » jumelles –, est recouverte d’une plaque de cuivre d’où sort une petite manette qui ressemble à une prise d’air ou à un périscope de sous-marin. Les accumulations n’ont pas toutes la même hauteur. On dirait des fondations, quelque chose est en cours d’installation. Contrairement à d’autres œuvres de Beuys, Fonds VII/2 ne contient pas d’éléments qui seraient cachés à l’intérieur.

Des artistes qui laissent peu de place à l’imagination affirment : « Ce que vous voyez est ce que voyez ». Beuys, lui, donne plus à voir et à sentir que ce qu’il montre.

Il faut parler de l’histoire de l’artiste pour comprendre son œuvre. En 1940, pilote dans la Luftwaffe, son avion est abattu en Crimée. Le copilote est mort, lui est recueilli par des autochtones. Il est dans le coma, maintenu à température dans des couvertures de feutre. On le nourrit avec du miel, on le couvre de graisse et, quand il revient à l’existence, il sent sa sensibilité accrue, capte des énergies nouvelles. Beuys qui dessinait, collectionnait les plantes, s’intéressait à la botanique, qui voulait devenir sculpteur avant de partir à la guerre, va se servir de ces matériaux, qui lui ont sauvé la vie, pour son art.
Fonds VII/2, constitué de feutre et de cuivre, matériau, comme on le sait, conducteur d’électricité et de chaleur, est une accumulation thermique, à l’image du corps et de l’énergie humaine. Ses petits périscopes sont là pour capter l’énergie de l’espace, établir un flux entre l’air et la terre, un lien entre l’extérieur et l’intérieur.

Pour Beuys, l’œuvre n’est donc pas une image, l’important n’est pas dans son apparence, elle est captation d’énergie et force à capter.

Joseph Beuys, Fonds VII/2, 1967 / 1984

Fonds VII/2, 1967 / 1984 (détail)
Au premier plan, émergeant d’une pile de feutre, une petite manette qui ressemble à un périscope. Au second plan, les deux « tours » jumelles

Le public ne perçoit pas cette installation comme une œuvre. Il voit des matériaux plutôt que des formes. Beuys ne veut pas non plus donner à son travail ce statut, mais faire ce qu’il appelle une « sculpture sociale », la base d’une communication.
Fonds VII/2 est posé là, un peu éléphantesque, presque a contrario de ce qu’implique une énergie. C’est une terre qui se sédimente avec toutes ses couches de feutre, un humus où s’accumule la chaleur.
Représentatif du mouvement Fluxus, mouvement des années 1960 qui veut rapprocher l’art de la vie, Beuys est aussi parmi ceux qui sont à l’origine de prises de conscience en Allemagne, notamment écologiques.

Fonds VII/2 est une installation, un type d’œuvre caractéristique de l’art d’aujourd’hui.

Créée in situ, une installation n’est pas forcément liée à l’espace du musée. Elle peut être créée dans une friche, dans des espaces naturels… telles les installations du Land art.
Le Musée possède des installations qui n’ont pas été réalisées pour lui. Par exemple, Plight, de Beuys également, créée pour une galerie à Londres. Tout a démarré en réaction à des travaux bruyants aux portes de celle-ci.
Au Musée, Plight occupe deux pièces, dont les murs sont recouverts de rouleaux de feutre. Dans la première pièce est placé un piano à queue au couvercle fermé. En pénétrant dans cet espace fermé, le visiteur capte très fortement une énergie négative causée par son silence, son odeur, son air raréfié. Son impact dans la galerie était-il différent ?
Réinstaller une installation demande de réfléchir à sa mise en scène et aux œuvres qui l’entourent. Si le visiteur ouvrait une porte et se trouvait devant Fonds VII/2, ce serait différent de ce qu’il voit à l’entrée du Musée. Sa mise en situation insiste sur le work in progress de l’œuvre, depuis ses fondations jusqu’aux échanges entre l’œuvre, l’espace et le visiteur.

La notion de mythologie personnelle, propre à l’art contemporain, évoque un art fondé sur la vie de l’artiste. Louise Bourgeois, Joseph Beuys amplifient un moment de leur vie pour en faire une légende. Annette Messager ou Christian Boltanski ont créé des personnages inspirés d’eux-mêmes. Sophie Calle, d’un scénario de vie, fait son œuvre…

L’histoire de Beuys abattu pendant la guerre dans son avion est devenue une légende, certains émettent des doutes par rapport à ce qu’il a réellement vécu.
Lui ou Louise Bourgeois, dont l’œuvre Precious Liquids, 1992, était à la place de FondsVII/2 dans un accrochage précédent, mettent en avant des événements qui leur sont arrivés, d’une grande intimité, de l’ordre du tragique.

Louise Bourgeois avait cerclé l’énorme réservoir d‘eau qui compose Precious Liquids d’une inscription : « Art is a guaranty of sanity », l’art est une condition de bonne santé mentale. Par l’œuvre d’art, une sorte de résilience se fait pour l’artiste avec sa propre histoire.

Jean-Pierre Raynaud Retour haut de page

1939, Courbevoie (France)

Avec Jean-Pierre Raynaud, l’œuvre est aussi une résilience. Enfant, Raynaud perd son père pendant la Seconde Guerre mondiale. Au sortir de l’adolescence et d’études d’horticulture, il découvre les nouveaux réalistes, César, Spoerri, Tinguely… voit que, pour s’exprimer, il n’est nul besoin de savoir peindre ou dessiner. Il choisit de travailler avec ce qui fait son quotidien, notamment les pots de fleurs, qu’il va remplir à ras bord de ciment, image de son propre enfermement, car rien ne peut pousser là-dedans.

Jean-Pierre Raynaud, Container Zéro, 1988Jean-Pierre Raynaud, Container Zéro, 1988

Jean-Pierre Raynaud, Container Zéro, 1988
Installation
Carrelage, acier, électricité, 330 x 330 x 330 cm
surface au sol : 10 m2
1. Line (Ligne), 2010
2. Line, 1993-2012

Le pot de fleur va devenir son ancrage et son emblème. Il en créera de multiples. Le Pot doré, réalisé en 1985 pour le parc de la Fondation Cartier à Jouy-en-Josas, que le visiteur peut voir actuellement sur la terrasse du niveau 6 au Centre Pompidou, au-dessus d’un petit plan d’eau, avait été présenté dans la Cité interdite à Pékin, en hommage au dernier empereur de Chine, qui avait été relégué dans un emploi de jardinier.

Container Zéro est à l’image de la maison que l’artiste s’est construite à La Celle Saint-Cloud à partir de 1969, une maison entièrement carrelée de blanc, proche d’un mausolée, d’un petit musée où, pendant une longue période, personne ne pouvait entrer que lui-même. Les objets y étaient transfigurés par l’espace, qui leur donnait une impression de netteté tout en renvoyant à la mort.
Sa maison détruite, il en a gardé les débris dans des vases de chirurgie, sortes de reliques qu’il a installées à Bordeaux à l'Entrepôt Lainé, alignées comme des plantations horticoles. À l’occasion du 10e anniversaire du Centre Pompidou, le Musée lui a commandé le Container Zéro qui a été inauguré en 1988.

Pourquoi un container ? Et pourquoi y ajouter zéro ?

Habituellement, un container contient toutes sortes de biens de consommation. L’œuvre s’appelle Container Zéro : c’est un vrai container mais dans lequel l’artiste a fait le vide. Il y intervient régulièrement en exposant des œuvres de la collection, ainsi y a-t-il présenté Jean Tinguely, Yves Klein… ou, dans l’intervalle, des gerbes de fleurs, des roses, comme si c’était une tombe, ou encore des photographies, des objets en lien avec l’actualité. En fait, Raynaud instaure, là, une réflexion sur le présent. Au moment de bombardements sur Beyrouth, il y installe une roquette (désamorcée), et en 2000-2001 toute une série de drapeaux, notamment le drapeau israélien puis le drapeau palestinien.
Il y parle aussi de sa vie. En 2002, une échographie d’un fœtus est présentée, et quelque temps plus tard un tapis d’éveil, son fils vient de naître. En 2003, quand Pierre Restany, le théoricien des nouveaux réalistes, décède, il expose un grand portrait de lui en manière d’hommage.

Succède une suite de petites Vanités (voir illustration), accompagnées d’un alphabet de lettres de couleur en plastique et de guingois, comme si un enfant avait tripoté ces lettres. En 2008-2009, une photographie montre le Pot doré dans l’espace avec un cosmonaute. Mis en satellite, le pot échappe dans le cosmos à sa propre pesanteur.
La photographie actuellement présentée est un crâne aux proportions monumentales. Le Container est un petit musée dans le musée et en même temps un espace sacré, un « retable », dit Raynaud. Ces images semblent avoir toujours un rapport à la mort, à la vie, à l’infini. Quand Jean-Pierre Raynaud disparaîtra, on y installera une œuvre déjà prête, faite de carreaux blancs se confondant avec l’ensemble, à laquelle s‘ajoutera le matricule zéro.

Cy Twombly Retour haut de page

1928, Lexington (États-Unis) – 2011, Rome (Italie)

Quatrième démonstration de ce que peut être une œuvre contemporaine : elle peut aussi être composée de toile, de peinture, de mine, et faire référence à la mythologie, laquelle a souvent servi l’iconographie de la peinture classique.

Cy Twombly, Achilles Mourning the Death of Patroclus, 1962

Cy Twombly, Achilles Mourning the Death of Patroclus, 1962
(Achille pleurant la mort de Patrocle)
Huile, mine de plomb sur toile, 259 x 302 cm

Cy Twombly, artiste américain, arrive en 1956 à Rome où il s’installe définitivement. Rome, ville de culture, antique, chrétienne, renaissance et baroque, néo-classique avec ce que les Romains appellent « la Machine à écrire » − le monument à Victor-Emmanuel II... −, où peuvent se côtoyer graffiti de l’antiquité et tags d’aujourd’hui.
Twombly essaie de ressentir la présence du passé en passant parfois par la littérature ou la mythologie, Keats, Valéry, Virgile, Homère... Il ne va pas représenter ce qu’il lit mais créer en revivant intérieurement ce qui est écrit.
Achilles Mourning the Death of Patroclus est une scène de L’Iliade qui suit le chant XVI. Achille se retire sous sa tente au siège de Troie, et Patrocle prend son armure pour aller sur le champ de bataille. Patrocle est tué. Achille se sent responsable de la mort de son ami. Il a comme le sang de Patrocle sur les mains. Sur la toile, on voit les traces de ses doigts, embrouillamini de traits de couleur rouge qui font penser à du sang, il y a même comme un caillot.

Au milieu de la toile, un fin cordeau trace l’horizon, au-dessus duquel s’élève cet embrouillamini de traits.

Achilles Mourning the Death of Patroclus, 1962 (détail)

Achilles Mourning the Death of Patroclus, 1962 (détail)
Un embrouillamini de traits de couleur rouge qui font penser à du sang, il y a même comme un caillot

On peut lire au-dessus de ce fin cordeau, les chiffres 0 et 2, faisant penser à des fuseaux horaires, le 1 a disparu. Nous sommes dans le récit, dans la durée, mais le moment clé nous a échappé : la mort de Patrocle. Le moment qui suit, Twombly l’a écrit dans le tableau, à partir du texte d’Homère : Achilles Mourning the Death of Patroclus … Les mots sont raturés, rayés, la vie semble ne plus tenir qu’à un fil. Il rature même sa propre signature comme s’il vivait la mort de Patrocle.
Cet horizon légèrement tracé indique l’attachement à la terre tandis que l’âme de Patrocle s’envole dans ce nuage ensanglanté. Il y a là une qualité de présence et non de représentation. Twombly effectue un travail pour ressentir en lui-même ce qui est écrit dans la légende, et c’est une performance en peinture.

Peut-on parler de mythologie personnelle pour Twombly ?

Peut-être est-il dans une mythologie personnelle, sinon aurait-il choisi ce sujet ? Sa démarche est poétique. En même temps, il est dans l’enfance de l’art, le métier n’a pas ici sa place. Il peint avec les mains. De la même façon que le récit d’Homère est à l’origine d’une réflexion humaine, il cherche l’origine et, en profondeur, l’énergie du sujet et sa poétique.

Les œuvres de Beuys, Raynaud et Twombly sont apparemment très différentes, et pourtant elles travaillent toutes trois sur l’origine et l’énergie.

Ronan Le Grand et Marie-José Rodriguez

Les avant-gardes des années 1960-1970 Retour haut de page

Vue de la salle 13, Expérimentations italiennes, 1960-1980

Collections contemporaines du Musée,
vue de la salle 13, Expérimentations italiennes, 1960-1980
Œuvres de Mario Merz, Mimmo Paladino, Carla Accardi, Gilberto Zorio

Après ces quatre œuvres présentées à l’entrée du Musée, l’accrochage propose une deuxième séquence, plus historique. Au gré des salles, prennent place quelques-uns des principaux mouvements dits d’avant-gardes des années 1960-70, bien qu’ils ne soient pas présentés comme tels mais sous forme thématique. Comme les premières avant-gardes du 20e siècle, les artistes à nouveau déconstruisent, mettant au jour les composants de leurs médiums ou en créent de nouveaux. Chaque mouvement en privilégie un avec, au cœur du processus de création, les questions de l’œuvre et de son espace, du rôle de l’artiste et du public.

Fin des années 1950, début des années 1960, avec le mouvement Fluxus, artistes américains et européens façonnent de nouvelles formes d’expression et de relations avec le public, pour un art proche de la vie (salle 13, Les mots et les choses). Au milieu des années 60, tandis qu’Outre-Atlantique, notamment, se créent des œuvres épurées, minimales puis conceptuelles (salle 3, Abstractions minimalistes), naît en France avec la figuration narrative (salle 8, Métamorphoses de la figure du politique), et en Italie avec l’Arte povera (salle 11, Expérimentations italiennes), un art engagé, en réaction au pop’art et à la société de consommation.
L’op’art et le cinétisme (présentés au 5e niveau du Musée, salle 38 « Lumières et mouvements ») qui traçaient leurs voies depuis les années 50 montrent, dans la décennie qui suit, l’internationalisation d’une réflexion sur les phénomènes de la vision et leurs implications dans la création. Fin des années 1960, déconstructeur et hédoniste, c’est au tour du mouvement support(s) surface(s) (allée principale) de redistribuer les cartes…

L’accrochage du Musée aurait pu témoigner d’autres pôles d’émergence. Chaque accrochage fait à la fois découvrir les œuvres et des fils essentiels pour une compréhension de l’histoire de l’art. De prochains accrochages insisteront sur d’autres pôles, d’autres formes de questionnements, renouvelant à chaque fois le plaisir et l’intérêt du visiteur.

Quelques repères historiques Retour haut de page

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’art se tourne vers le nouveau monde faisant de New York et des expressionnistes abstraits les nouveaux référents. De profondes mutations et désirs réorganisent la société qui va se reconstruire à une vitesse éclair (les Trente glorieuses). L’art fait alors écho à la société de consommation, du loisir et du spectacle, des nouveaux medias et des technologies. Le mouvement pop, né en Grande-Bretagne dans les années 50, illustre parfaitement cette génération et trouve un essor spectaculaire aux Usa au début des années 60.
Dans les années 60 et 70, de grands mouvements contestataires mettent l’individu et ses libertés face aux systèmes et tabous en vigueur (politique, religion, corps, sexe, drogue…).
Comment ne pas évoquer ces années comme un tournant pour l’humanité ? L’homme qui pose le pied sur la lune a franchi un cap. Mais ce monde qui a repoussé ses frontières aspire à plus de justice et de libertés. Les mouvements artistiques qui naissent durant ces décennies reflètent ces grandes mutations et la réactivité des artistes face à l’histoire et aux sociétés.

L’art minimal
Minimaliser et non minimiser l’œuvre Retour haut de page

« Less is more. »

Mies van der Rohe

L’art minimal, apparu aux Usa au milieu des années 1960, cherche à « minimaliser » et non à minimiser l’œuvre d’art. Dans un souci d’universalité, l’œuvre ne doit inspirer aucune subjectivité, elle ne doit être envisagée que par ce qu’elle donne à voir. L’art est ce que vous voyez.
Le terme minimal à été évoqué pour la première fois, en 1965, par Richard Wollheim, professeur de philosophie à l’University College de Londres, dans un article d’Arts Magazine. Cette même année, Barbara Rose, critique d’art, propose mais sans succès, dans Art in America, d’appeler la tendance qu’elle perçoit chez des artistes comme Donald Judd, Dan Flavin ou Carl Andre, l’ABC ART, en faisant allusion à leur démarche élémentaire.

L’art minimal trouve ses sources dans les œuvres de Malevitch et des constructivistes, l’esthétique du de Stijl et du néoplasticisme de Piet Mondrian. Marcel Duchamp pour ses ready-mades, et plus encore Brancusi pour ses formes épurées servent de références aux sculpteurs du mouvement. Le peintre abstrait Ad Reinhardt qui, inlassablement, réalise dans les dernières années de sa vie ses Ultimate Paintings, des peintures presque entièrement noires, est l’un des pionniers revendiqués par ses représentants.

Il est important de noter qu’il existe des caractéristiques communes à l’art minimal et au pop art, comme la production standardisée et industrielle (la Factory de Warhol et ses procédés reprographiques, les installations de Donald Judd, les Stacks [Piles], par exemple), ou l’absence de touche picturale (qui pourrait révéler la présence du créateur).
L’œuvre minimale intègre souvent, dans sa conception et sa réalisation, le lieu d’exposition et son architecture.

« La règle première et absolue de tout art authentique et de la peinture − le plus libre et le plus élevé de tous les arts −, c’est la pureté. Plus l’œuvre d’art contient de « sujet », plus elle est animée, plus elle est mauvaise. “Plus est moins.”
Moins l’artiste pense en termes qui ne relèvent pas de l’art et moins il exploite un « métier » facile et vulgaire, plus il est artiste. Moins l’artiste se projette dans la toile, plus élevés et purs deviennent ses objectifs. Moins une toile est exposée à l’arbitraire du public, mieux cela vaut. “Moins est plus”. »

Ad Reinhardt, Art News, mai 1957

Ellsworth Kelly, Dark blue Panel (Panneau bleu sombre), 1985

Ellsworth Kelly, Dark blue Panel (Panneau bleu sombre), 1985
Huile sur toile, 246 x 281,5 cm

L’œuvre s’impose à l’œil comme un vaste templum, faisant écho aux monochromes bleus d’Yves Klein régulièrement exposés dans le Musée. Un templum était un carré symbolique tracé dans le ciel par les augures pour déceler les messages des dieux. Mais, de celui-ci, aucun message n’est à espérer. Seulement une peinture d’un bleu profond, devenue sculpturale par la force de la masse colorée. La touche invisible de l’outil donne à distance la sensation d’une fenêtre profonde et immatérielle. En se rapprochant, le corps s’inscrit dans les dimensions importantes de l’œuvre et l’on perçoit la présence physique du tableau.

Mais ce qui trouble le plus le spectateur, c’est l’étrange sensation que le tableau ou l’espace tout entier se courbe (un parallèle avec l'op’art est inévitable). Un regard sur la tranche du tableau contredit l‘illusion : il est droit. Pour obtenir cet effet de courbe, procédé qui lui est cher, Ellsworth Kelly utilise un châssis élimé, la toile qui le recouvre donnant alors l‘impression d’être pincée aux angles.

Dans la série des Curves (courbes) ou des Shaped Canvas (toiles à formes), l’artiste associe formes et couleurs pour donner aux œuvres des dynamiques et tensions qui associent l’espace qui les contient.

Quelques artistes

  • pour la peinture : Frank Stella (1939-), Ellsworth Kelly (1923-), Kenneth Noland (1924-2010),
  • pour la sculpture : Richard Serra (1939-), Sol Lewitt (1936-2007), Donald Judd (1928-1994), Robert Morris (1931-), Carl Andre (1935-), Dan Flavin(1933-1996)…

Beaucoup reconnaissent en Ad Reinhardt (1913-1967) un précurseur du mouvement.

Textes de référence

  • Le minimalisme, dossier pédagogique
  • Ghislain Mollet-Viéville, Art minimal et conceptuel, Genève, Skira, 1995
  • Paul-Hervé Parsy, Art minimal, collection « Jalons », Centre Pompidou, 1992

L’art conceptuel
L’idée de l’œuvre Retour haut de page

« Les idées peuvent être des œuvres d’art. »

Sol Lewitt, Artforum, juin 1969

Pour l’art conceptuel, souvent perçu comme un développement de l’art minimal (celui-ci étant plus « esthétique »), le concept, l’idée de l’œuvre, constitue l’aspect déterminant du travail. Allant parfois jusqu’à négliger la réalisation concrète, l’art conceptuel a pour matériau privilégié le langage. L’œuvre peut être exprimée en un texte qui décrit les conditions d’exécution. Réalisée, elle est entièrement conçue avant sa matérialisation. Par sa « dé-esthétisation » et sa dépersonnalisation, elle tente de nier l’expression subjective.

Peut-être dit conceptuel tout artiste qui privilégie le projet sur la réalisation et la question qu’est-ce que l’art ? à sa fabrication. Ainsi, peut-on compter parmi ses précurseurs Léonard de Vinci qui, au 15e siècle, considère l’art comme une « cosa mentale » − le projet est d’abord soumis au dessin, au designo − et, au 20e siècle, Marcel Duchamp. Se plaisant à démontrer que l’artiste pense, au contraire de ceux qui le font passer pour un œil, Duchamp remet en cause l’art, sa fonction, et le rôle des musées avec ses ready-mades, des objets déjà « tout préparés ».

Dans les années 60-70, en quête du sens profond de leurs démarches, les artistes cherchent à « penser l’art » selon des schémas nouveaux, en s’appuyant sur le néo-dadaïsme du mouvement Fluxus mais aussi en puisant dans le contexte intellectuel de l’époque, notamment dans le développement de disciplines comme la psychanalyse (Lacan…), la philosophie (Foucault, Derrida, Althusser…) ou la linguistique (Chomsky…).

Plus tendance que mouvement, si beaucoup de ses représentants sont américains, l’art conceptuel regroupe des artistes d’horizons différents, lui donnant une ampleur internationale. De grandes expositions (principalement entre 1968 et 1973) ont mis en lumière les idées conceptuelles. « Quand les attitudes deviennent forme », présentée en mars 1969 à la Kunsthalle de Berne par Harald Szeemann, demeure l’une des plus remarquées.

Joseph Kosuth, One and Three Chairs (Une et trois chaises), 1965

Joseph Kosuth, One and Three Chairs (Une et trois chaises), 1965
Installation
Chaise en bois, photographie de la chaise et agrandissement photographique de la définition du mot « chaise » dans le dictionnaire, 200 x 271 x 44 cm

Faisant partie d’une série de travaux, les Proto-investigations, qui annonce l’avènement de l’art conceptuel, cette installation est particulièrement représentative de cette tendance. One and Three Chairs de Joseph Kosuth présente une chaise, sa représentation (une photo de cette même chaise à la même échelle dans le même lieu) et une définition du mot chaise.
Dépositaire de l’idée du ready-made de Duchamp, l’artiste, en confrontant l’objet avec sa représentation et sa définition, le voit ainsi réduit à son seul concept. La chaise est le signifiant, la définition du mot chaise le signifié. L’ensemble est le signe.

Quelques artistes
Joseph Kosuth (1945-), Lawrence Weiner (1942-), Claude Rutault (1941-), On Kawara (1933-), Robert Morris (1931-)…

Textes de référence

  • Art conceptuel, dossier pédagogique
  • Robert Morris, catalogue de l’exposition, éditions Centre Pompidou, 1995
  • Sol Lewitt, Paragraphs on conceptual art, juin1969, Artforum
  • Quand les attitudes deviennent forme, catalogue de l’exposition, 1969, Kunsthalle, Berne

Fluxus
Réunir l’art et la vie Retour haut de page

« Fluxus mettait le doigt sur les choses simples de la vie, érigeait la simplicité comme valeur en mettant l’accent sur le rire, les larmes, le vol d’une mouche dans une chambre noire. »

Wolf Vostell, Libération, août 1995

Particulièrement actif aux Usa et en Allemagne entre 1962 et 1978, le mouvement Fluxus couvre un champ artistique large : performance, musique, théâtre, poésie, cinéma, publications originales… C’est à George Maciunas, diplômé d’histoire de l’art et de musicologie mais aussi designer et architecte, que l’on doit ce nom de Fluxus (du mot flow), apparu en 1961 sur un carton d’invitation pour un événement dans sa galerie, l’A.G. Gallery à New York. Le mot fluxus décliné selon les circonstances (flux films, fluxhalf, fluxboîtes…) témoigne des activités variées de Maciunas et du groupe.

Vue de la salle 13, Les mots et les choses

Collections contemporaines du Musée,
vue de la salle 13, Les mots et les choses
Œuvres de George Brecht et Allan Kaprow

L’histoire de Fluxus est très riche. En voici quelques moments. Fluxus reconnaît à John Cage une importance décisive. Professeur en 1958 à la New School for Social Research de New York, beaucoup de ses élèves vont s’illustrer comme artistes du mouvement (George Brecht, Allan Kaprow, George Maciunas, La Monte Young…).
En Allemagne, à Darmstadt, en 1959, le séminaire de Karlheinz Stockhausen, The Composition as process, marque en profondeur La Monte Young et Nam June Paik (qui deviendra un pionner de l’art vidéo).
Allan Kaprow, également en 59, réalise son premier happening (terme qu’il est, aussi, le premier à employer) et propose rapidement des structures (installations) dans lesquelles le spectateur est immergé.
Les concerts Fluxus organisés en Europe, où Maciunas découvre des artistes aux aspirations similaires à ceux qu’il soutient aux Usa, mêlent musique (action music) et arts plastiques (poésie et performance). Festum Fluxorum, auquel contribue Joseph Beuys (Staatliche Kunstakademie de Düsseldorf) sillonne l’Europe pour finir, en 1963, à Nice. Dans cette ville, Ben Vautier, qui participe à ce festival d’art total, ouvre Fluxus à l’événement de rue.
En 1963, le Yam festival de George Brecht et Robert Watts aux Usa fait la part belle aux « actions » ou events.

Fluxus est expérimental et ludique. Suivant l’esprit dada du Cabaret Voltaire, les artistes réactivent les performances, les fusions entre disciplines et accordent une grande place au hasard et à l’indéterminé. Le jeu, l’humour et la dérision sont des armes pour transformer la société. Quant au spectateur, il est amené à abandonner l’attitude passive qu’il entretient avec l’art. Pourquoi l’art devrait-il être sérieux pour être efficace et intéressant ?

Opposés à l’idée d’un art élitiste, les membres du groupe ont diffusé en nombre leurs propositions originales, grâce à des éditions diverses (souvent à l’initiative de Maciunas) telles que la revue VTRE (nom choisi d’après une enseigne en néon partiellement grillée), à des fluxshops (La Cédille qui sourit à Villefranche-sur-Mer de George Brecht et Robert Filliou, par exemple) ou par mailing (Fluxus Mail-Order Warehouse de George Maciunas).

« La réhabilitation du travail collectif, auquel les dadaïstes et les futuristes s'étaient essayés, le renouveau de l'art typographique et de la poésie dite sonore ou concrète, la prise en main par les artistes de leur destin, via le contrôle des circuits de distribution, la critique assumée du marché de l'art et de sa folie, un refus en actes des préjugés nationaux, racistes ou machistes : la mouvance Fluxus, internationaliste au sens strict, inclut de plein droit nombre d'artistes asiatiques, est-européens, afro-américains, les femmes y sont plus représentées que dans n'importe quelle tendance de l'art dans les années 1960 et 1970. […] Fluxus se présente, non comme une esthétique, mais comme une éthique du non-conformisme, à laquelle la plupart des artistes se sont remarquablement tenus. » (Extrait du site Encyclopædia Universalis.)

« La musique, ce n’est pas seulement ce que l’on écoute et ce que l’on entend, mais c’est tout ce qui se passe… »

George Brecht

George Brecht, Water Yam, 1959-1962

George Brecht, Water Yam, 1959-1962
Boite en bois contenant 116 cartes-événements imprimées et divers objets
6,7 x 19,6 x 15 cm
Ed. Fluxus
Multiple. 3e édition: Daniel Templon, Paris 1972. Ex 15/100

George Brecht a, depuis les années 1950, marqué un intérêt pour le hasard et l’aléatoire, sujet de travail privilégié du mouvement Dada. « Disciple » de John Cage dont il est l’élève à la New School for Social Research en 1958-59, il se joint à Allan Kaprow et intègre le groupe de Maciunas, dont il devient l‘un des membres les plus actifs. Particulièrement sensible à l’idée d’un art vivant, ses events invitent le public (individu ou groupe) à prendre part à ses créations qui, bien que définies, laissent au hasard une part importante du résultat. La musique ou les sons (il se dit plus musicien que plasticien) sont les acteurs majeurs de ses events, qu’il transpose en 1962 sous forme de petites cartes dactylographiées (des scripts partitions) et qu’il range dans la Water Yam Box. Celles-ci peuvent, d’ailleurs, donner lieu à de nouveaux events, exécutés en privé ou en public, seul ou en groupe.

Proches d’un art « pauvre », les créations de Brecht nécessitent peu de matériaux, car elles impliquent les données sonores et spatiales de l’espace qui accueille ou des objets utilisés. Ainsi, Time Table Music, 1959, event musical réalisé dans une gare où les exécutants s’emparent d’un indicateur de chemin de fer pour créer leurs partitions, auxquels s’ajoutent bruits et annonces ferroviaires, Motor Vehicle Sundown, 1960, conçu à partir d’une voiture, moteur et clignotants allumés… Ses Chairs events, conçus entre 1960 et 1972, revisitent l’esprit du ready-made de Marcel Duchamp, avec la volonté de rompre avec un art conventionnel dans sa forme et son concept.
« Je ne pense jamais si ce que je fais est de l‘art ou non. C‘est une activité. C‘est tout », affirme-t-il, à l’aune du mouvement Fluxus, ludique, aléatoire et créatif.

Quelques artistes
George Maciunas(1931-1978), George Brecht (1925-2008), Robert Filliou (1926-1987), Nam June Paik (1932-2006), Ben Vautier (1935-), Yoko Ono (1933-), Wolf Vostell (1932-1998), Joseph Beuys (1921-1982), Allan Kaprow (1927-2006), La Monte Young (1935-)…

Textes de référence

Nouvelle figuration ou figuration narrative,
Des peintres acteurs de l’Histoire Retour haut de page

« Cet art s’adresse à l’homme d’aujourd’hui […]. Ces artistes […] ont ceci de commun qu’ils se sont refusés à être de simples témoins indifférents ou blasés, auxquels la réalité s’imposait par sa propre inertie, par son envahissante et obsédante présence. […] à la démarche statique du pop art américain ils opposent tous les précieuses mouvances de la vie. »

Gérald Gassiot-Talabot, catalogue de l’exposition Mythologies quotidiennes, juillet-octobre 1964

Contemporaine du succès du mouvement pop aux Usa ou des nouveaux réalistes en Europe (terme inventé par Pierre Restany en 1960), la nouvelle figuration, apparue en 1964, est souvent assimilée à ces deux mouvements auxquels elle emprunte beaucoup d‘éléments. En réaction à l’abstraction triomphante des années 1940-50, à la lente agonie de l’École de Paris, mais aussi au clinquant du pop art, la nouvelle figuration apparaît alors comme source de jouvence.

Les moments-clés de son émergence sont l’exposition Mythologies quotidiennes (titre emprunté à l’ouvrage de Roland Barthes), organisée en 1964 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris par le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot et les peintres Bernard Rancillac et Hervé Télémaque, suivie, l’année suivante, par celle de la galerie Creuze, La figuration narrative dans l’art contemporain, où Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati présentent une œuvre collective : Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp.

Vue de la salle 8, Métamorphoses de la figure du politique

Collections contemporaines du Musée,
vue de la salle 8, Métamorphoses de la figure du politique
Œuvres de Valerio Adami, Ed Paschke, Larry Rivers, Eduardo Arroyo, Peter Saul, Richard Lindner

Ses toiles-manifestes célèbrent une peinture figurative où prime le discours social et politique. Le vocabulaire plastique mêle automatismes surréalistes, « collages » pop et puise dans tous les domaines (publicité, photo, cinéma, bd, littérature…). Les similitudes peuvent paraître nombreuses avec le mouvement pop (acrylique, aplats francs, références aux sous-cultures…), mais il ne s’agit plus d’immortaliser les « icones » de la société de consommation. Le mouvement pop, jugé trop frileux, ne peut plus être la réponse plastique à une situation historique et sociale jugée inacceptable. Le peintre, devenu militant, brandit le pinceau comme une réponse à une société qu’il dénonce ; peintre d’Histoire, il est acteur de l’Histoire.

Lors des événements de Mai 1968, le groupe est particulièrement actif. Il collabore à l’atelier populaire organisé par les étudiants de l’École nationale supérieure des Beaux-arts, à Paris, crée de nombreuses affiches qui légitiment sa démarche − citons notamment l’affiche de Bernard Rancillac représentant Cohn-Bendit : Nous sommes tous des juifs et des allemands.
Loin d’un discours formel et introspectif sur l’art, le mouvement replace l’artiste au cœur de la société.
L’intérêt accordé à l’individu, la subjectivité de l’artiste, la relation qu’il entretient avec le spectateur, le rôle du récit constituent des caractéristiques qui occupent une place importante, aujourd’hui, dans l’art.

« Un fusil est plus efficace qu’un pinceau si l’on sait s’en servir. Pour ceux que le fusil rebute, le pinceau peut-il être une arme? J’en doute. Mais avec ce doute en moi, moi peignant par force majeure, je ne peux pas détourner les yeux des champs de bataille, des charniers, des villes assiégées, des tribunaux, des salles de réunion, des salles d’opération ou de torture. »

Bernard Rancillac, Libération, septembre 2003

Participant exemplaire, en 1964, à l’exposition Mythologies quotidiennes au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Bernard Rancillac est particulièrement représentatif du groupe de la figuration narrative. Son iconographie puise dans l’univers de la publicité, de l’image populaire, de la photographie d’actualité et du cinéma. L’artiste a toujours marqué son engagement politique avec des œuvres qui répondent aux événements historiques (contraception, tensions entre Israël et les pays arabes, guerre d’Algérie, apartheid, famines, révolution culturelle en Chine…).

Bernard Rancillac, Suite américaine, 1970

Bernard Rancillac, Suite américaine, 1970
Triptyque. Peinture acrylique et vinylique sur toile, 195 x 402 cm
Panneau gauche : 195 x 97 cm
panneau central : 195 x 130 cm
panneau droit : 195 x 175 cm

La Suite américaine, présentée en 1971 dans une exposition intitulée Le vent (en référence au vent de la lutte des classes de Mao1), au Centre national d’art contemporain (le Cnac), ne déroge pas à cette « règle ». Gilbert Mury, militant de la gauche maoïste, qui rédige la préface du catalogue de l’exposition, mentionne un parallèle entre le réalisme socialiste chinois (certains évoquent le mouvement pop comme étant du réalisme capitaliste) et la « peinture photographique » de Rancillac.
Les photos qui lui servent de base de travail sont recadrées et réinterprétées sur trois toiles à l’aide de grands aplats neutres et couleurs aléatoires et tranchées. Les interactions entre peinture et photographie sont importantes dans les recherches plastiques des années 60 et Bernard Rancillac focalise, ici, son travail sur cette synesthésie.

Le triptyque implique un récit probable entre les trois images. Sans se référer à un événement précis, elles évoquent de manière distancée la guerre du Vietnam, vue comme une sordide histoire maffieuse. Le parallèle avec le mouvement pop et les « icones » de la société américaine est évident mais un virus a été introduit dans ce que l’american dream dépeint. Cette œuvre s’inscrit dans la période la plus engagée du peintre qui prendra peu à peu distance avec son militantisme radical de la première heure.

Quelques artistes
Bernard Rancillac (1931-), Jacques Monory (1934-), Hervé Télémaque (1937-), Alain Jacquet (1939-2008), Valerio Adami (1939-), Peter Klasen (1936-), Erro (1932-), Gilles Aillaud (1928-2005), Edouardo Arroyo (1937-), Henri Cueco (1929-)…

Textes de référence

  • La figuration narrative, dossier pédagogique
  • La figuration narrative dans l’art contemporain, catalogue de l’exposition, galerie Creuze, 1965
  • Figuration narrative. Paris, 1960-1972, catalogue de l’exposition, Paris, coédition Centre Pompidou/Réunion des musées nationaux, 2008

Op’art et cinétisme. La perception et le mouvement Retour haut de page

« L’art est lié à la destinée de l’homme. »
« Ce qui compte, ce n’est pas la forme initiale, mais la fusion créatrice des formes nouvelles. »
« L’image doit être un devenir et non pas un état. »

Agam, 1962 (extrait de F. Popper : Agam monographie, 1976)

L’op’art (optical art) prend ses sources dans des recherches menées tout au long du 20e siècle. Mais c’est en 1965 lors de l’exposition The Responsive Eye, au Museum of Modern Art de New York, que le mouvement prend forme et que le terme est popularisé. L’exposition met en avant l’importance de la vision dans la perception de l’art. En s’inspirant des recherches cinétiques, l’op’art cherche l’illusion d’un mouvement ou d’un espace changeant.

Les Hommages au carré de Josef Albers (série initiée en 1950), les recherches constantes de Marcel Duchamp sur le cinétisme et l’optique (dont les Rotoreliefs des années 20-30), les œuvres d’Alexander Calder ou les machines de Jean Tinguely sont autant de pistes pour les artistes des années 60 qui profitent, de plus, de nouveaux procédés optiques et lumineux. En Europe, Bridget Riley travaille essentiellement en noir et blanc (couleurs privilégiées en Europe) avec des effets de lignes ondulantes. Sa peinture, Current, 1964, reproduite sur la couverture du catalogue de l’exposition Responsive Eye, inspirera énormément les créateurs américains.

En 1967, à Paris, le G.R.A.V. (Groupe de Recherche des Arts Visuels), composé d’Horatio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein et Yvaral, présente l’exposition Lumière et mouvement. Il fait participer le public à des expérimentations interactives et souhaite que l‘œuvre, repensée, investisse la cité. Le néon, qui illumine alors les villes, investit l’art ; la lumière est partout et les nouvelles technologies laissent à penser tous les possibles (l’homme marchera bientôt sur la lune). L’op’art trouve dans les médias (publicité, télévision...) un écho populaire fort.

Un artiste est particulièrement représentatif du mouvement : Victor Vasarely. Il crée une œuvre rigoureuse basée sur des formes géométriques simples aux couleurs limitées mais aux nuances multiples. Le spectateur est amené à combiner les formes dans l’espace de l’œuvre qui peut, sans cesse, être redéfini. En intégrant le tableau dans l’espace qui le porte, l’œuvre joue de son environnement. De nombreux artistes op’ sont d’ailleurs tentés de plonger le spectateur dans un espace devenu installation. Le corps tout entier, et plus seulement la vision, participe à l’expérience.
Yacoov Agam dans son antichambre (Aménagement de l'antichambre des appartements privés du Palais de l'Elysée pour le président Georges Pompidou, 1972-1974), présentée dans le Musée, évoque l’expérience d’un temps et d’un espace modifiés par l‘impossibilité pour l‘œil de situer des repères fixes. Jésus-Rafael Soto propose un défi similaire avec ses pénétrables.

Victor Vasarely, Bi-forme, 1962, Vue de côtéVictor Vasarely, Bi-forme, 1962

Victor Vasarely, Bi-forme, 1962
Panneaux de verre gravé et socle en métal
Verre Saint-Gobin, métal, 200x120x20 cm

Dès les années 1940, Victor Vasarely marque son intérêt pour les formes pures ou géométriques dans des compositions abstraites qui trahissent l’influence du constructivisme (Malevitch surtout), du Bauhaus, puis des géométriques américains (Barnett Newman, Ellsworth Kelly…). Cadrages, mouvements, équilibres ou compositions traduisent souvent l’importance architectonique du tableau dans sa relation avec l’espace environnant.

Bi-forme reprend un procédé inauguré lors de l’exposition Le mouvement à la galerie Denise René en 1955 (le Manifeste jaune présenté par Vasarely avait alors marqué le début du cinétisme) : des plaques de verre superposées et gravées à l’aide de matériaux industriels, que le spectateur va « animer » en fonction de sa position.
« C’est ainsi que j’ai pu me passer de moyens mécaniques et moteurs. Je venais de découvrir qu’entre les deux œuvres fixées sur des supports transparents, un champ dynamique s’était mis à vibrer et à agir sur la structure des deux plans… », écrit l’artiste.

Le contraste fort du noir et blanc stimule l’œil du regardeur qui organise, selon ses points de vue, profondeur ou combinaisons des « motifs ». Ce procédé qui abandonne la mécanique cinétique au profit du dispositif spatial doit beaucoup à l’effet de transparence, qui fait de l’œuvre une « sculpture » intégrée à son environnement. Elle constitue pour l’artiste un exemple type de « …l’œuvre plastique diffusable, optimale et optimiste, véritable trésor commun… » (Extrait de textes de 1967, repris dans Notes brutes.)

Quelques artistes
Yaacov Agam (1928-), Jésus-Rafael Soto (1923-2005), Frank Stella (1936-), François Morellet (1926-), Victor Vasarely (1908-1997), Bridget Riley (1931-)…

Textes de référence

  • L’art cinétique dans les collections du Musée, dossier pédagogique
  • The Responsive Eye, catalogue de l’exposition, MoMA, New York, 1965
  • Victor Vasarely, Notes brutes, Denoël/Gonthier, Paris 1972
  • Soto. Collection du Centre Pompidou - Musée national d’art moderne, éditions Centre Pompidou, 2013

Arte povera. Les énergies à l’œuvre Retour haut de page

Le terme Arte povera a été utilisé pour la première fois en 1967 par le critique d’art Germano Celant. Cette même année, lors d’une exposition (Arte Povera e IM Spazio) à Gênes, sont présentées les œuvres d’Alighiero e Boetti, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Giulio Paolini et Pino Pascali. Le terme « povera » a donné lieu à différentes interprétations, faisant écho au teatro povero italien ou évoquant une sorte d’ascèse dans les réalisations. C’est un mouvement principalement péninsulaire.

Il faut également entendre par povera, un art qui ne serait pas assujetti aux technologies (computer art, matériaux industriels, mécanismes divers …) ou à l’influence de la société de consommation (référence essentielle du pop art). Les matériaux simples ou naturels qui sont utilisés, le sont souvent pour leurs qualités « tautologiques » : « la mer, c’est de l’eau ; une pièce, c’est un volume d’air ; le coton, c’est du coton […] la vie, une série d’actions. L’idée, l’événement, le fait et l’action sont matérialisés » (Germano Celant, Arte povera, art éditions, Villeurbanne, 1989).

Les qualités du matériau, physiques, biologiques, chimiques ou symboliques, agissent comme des énergies essentielles à l’œuvre et à son processus créatif. De par la nature même de ces matériaux, certaines œuvres sont précaires, voire éphémères. Le temps est un matériau à part entière qui les transforme.

Les matériaux naturels (terre, pierre, bois, feuilles, papier, verre, charbon, poils…) impliquent un rapport évident à la nature, relation que les artistes du 20e siècle ont négligée. De fait, certaines œuvres sont proches du Land Art, mouvement principalement américain qui inscrit les œuvres dans le paysage.
En associant des matériaux à des objets (néons, vêtements, chaises, bustes ou statues antiques…), ces artistes entretiennent un rapport chaotique entre nature et culture qui fait écho au climat politique et social de la fin des années 1960. L’Italie, pays de tradition au passé prestigieux, est alors confrontée aux transformations et aux nouvelles valeurs de la société. De ce constat, naissent des œuvres qui refusent les hiérarchies, s’opposent à un art standardisé et mécanique. Un luxe de l’éphémère, une mémoire pour le présent…

Michelangelo Pistoletto, Orchestra di stracci-trio (Orchestre de chiffons-trio), 1968

Michelangelo Pistoletto, Orchestra di stracci-trio (Orchestre de chiffons-trio), 1968
Installation. Trois éléments posés au sol composés chacun d'un verre, de tissus,
de 3 réchauds et 3 bouilloires électriques remplies d'eau et produisant de la vapeur
Dimensions des 3 plaques de verres : 120 x 180 cm; 140 x 150 cm; 130 x 170 cm
hauteur de chaque ensemble :40-50 cm

Germano Celant, théoricien de l’Arte povera, a souvent évoqué le théâtre expérimental italien du milieu des années 60 (teatro povero) et le Living Theater américain comme sources du mouvement. Influence évidente, en particulier dans le travail plastique de Michelangelo Pistoletto − fondateur en 1967 d’une compagnie de théâtre, Lo Zoo (Le Zoo) − qui privilégie le temps et l’espace ainsi que le rapport actif au spectateur.

L’installation Orchestra di stracci-trio est conçue comme une mise en scène. Elle est composée de trois groupes, chacun constitué d’une accumulation de chiffons − symbolisant pour Pistoletto le monde de la scène −, d’une plaque de verre qui les recouvre et d’une bouilloire posée sur un réchaud.
L’eau transformée en vapeur à la fois imprègne d‘humidité les tissus, embue les plaques, tandis que les bouilloires résonnent de façon stridente comme des voix d’acteurs ou des instruments. Énergies en action, transformation des matériaux, événement sonore, l’installation, spectaculaire et dynamique, devient une sorte de « performance sculpturale ».

Quelques artistes
Giovanni Anselmo (1934-), Alighiero e Boetti (1940-1994), Pier Paolo Calzolari (1943-), Luciano Fabro (1936-2007), Jannis Kounellis (1936-), Mario Merz (1925-2003), Giulio Paolini (1940-), Pino Pascali (1935-1968), Giuseppe Penone (1947-), Gianni Piacentino (1945-), Michelangelo Pistoletto (1933-), Gilberto Zorio (1944-)…

Textes de référence

  • Arte povera, dossier pédagogique
  • Giuseppe Penone, dossier pédagogique
  • Identité italienne, l’art en Italie depuis 1959, catalogue d’exposition, sous la direction de Germano Celant, Paris, Centre Georges Pompidou, 1981
  • Germano Celant, arte povera:storie e protagonisti milano:electra, 1985, Milano, Electra

Support(s)-surface(s),
Le tableau comme objet Retour haut de page

Le mouvement trouve ses origines en 1967 dans l’exposition au Salon de la jeune peinture du groupe BMPT - Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier et Niel Toroni. Chaque artiste se singularise par un « motif », peint sur une toile libre de tout châssis. Buren utilise des rayures verticales et Parmentier des rayures horizontales. Mosset peint un cercle noir centré sur une toile blanche et Toroni répète une touche ronde comme un pointillé. BMPT est, dans sa démarche, proche du minimalisme américain. Il ne revendique aucune perfection dans la réalisation, ne souhaite aucune émotion du spectateur et ne prétend de la peinture que le seul fait d’exister. La radicalité de sa provocation conduit le groupe à se dissoudre au bout d’une année.

En 1969 (7 juin-7 juillet), dans une exposition au Musée du Havre, La peinture en question, quatre artistes − Louis Cane, Daniel Dezeuze, Patrick Saytour et Claude Viallat − posent la base de ce que sera support(s)-surface(s). Tout comme BMPT, le groupe se veut critique du statut de l’œuvre d’art et de ses réseaux de diffusion. Il veut aussi montrer que peindre est encore possible, à condition de refondre les moyens picturaux. Il définit une nouvelle façon de penser l’œuvre en réinterprétant ses composants : ses format, couleur, support, espace et (re)présentations (c’est-à-dire la manière dont l’œuvre se présente et celle dont elle est présentée).
C’est l’année suivante, rejoint par Vincent Bioulès et Daniel Valensi, qu’il prend le nom de support(s)-surface(s), à l’occasion d’une exposition organisée en automne à l'A.R.C. (Musée d’art moderne de la Ville de Paris), puis, en 1971, c’est au tour d’André-Pierre Arnal, Noël Dolla, Toni Grand et Jean-Pierre Pincemin de rejoindre le mouvement.
Il n’y a dans la démarche de ces artistes aucune intention de délivrer un message mais une volonté de rupture en évoquant un « degré zéro de la peinture » (Daniel Valensi). (Barthes évoquait, quant à lui, un degré zéro de l’écriture.) Si le motif peint, abstraction sans message, est important, plus importante encore est l’appréhension du tableau comme objet. La peinture devient souvent sculpturale et interagit avec l’espace qui l’accueille.

Pour se réapproprier le tableau, ils le « dissèquent » (toile, texture, châssis, pigments…). Ainsi, Dezeuze s’intéresse-t-il au châssis qu’il déconstruit en échelles, grilles ou combinaisons de lamelles de bois. Viallat, en répétant à l’infini un motif toujours semblable mais indéterminé, se préoccupe surtout du support qui l’accueille et de sa mise en espace. Dans ses œuvres, la toile semble souvent flotter, alors que chez Saytour elle est soumise à des tensions et pliages…
Viallat résume ainsi les méthodes du groupe : « Dezeuze peignait des châssis sans toile, moi je peignais des toiles sans châssis et Saytour l’image du châssis sur la toile ». Les méthodes d’application de la couleur sont soumises à des procédés gestuels, d’empreintes ou tampons souvent rudimentaires. Nœuds et tissages réinterprètent les trames de la toile.

Avec ses méthodes de travail qu’il considère comme artisanales et ses matériaux peu onéreux, support(s)-surface(s) dénonce une culture élitiste et un marché de l‘art aux prix affolants. De même que les nouveaux figuratifs, il se rapproche de penseurs marxistes (critique de la société bourgeoise) ou structuralistes, comme Philippe Sollers. Rapprochements cependant à l’origine de tensions, qui conduisent à une séparation après une dernière exposition collective, sous l’appellation supports/surfaces, à Strasbourg en 1972.
Le mouvement, qui se veut également une réaction à l’art conceptuel (à qui il oppose sa fabrication « artisanale »), aura marqué durablement la vie artistique française.

Claude Viallat, Bâche Kaki, 1981

Claude Viallat, Bâche Kaki, 1981
Eléments d'une tente militaire kaki
Peinture acrylique sur toile de bâche, 320 x 475 cm

Immédiatement identifiable par le « motif haricot » qu’il répète dans son œuvre, Claude Viallat n’a de cesse, depuis la fin des années 60, de réinterpréter les éléments qui composent le tableau. La toile, débarrassée de son châssis, est le sujet principal de ses recherches plastiques. Si, dans un premier temps (à partir de 1968), le tissage qui forme la toile est évoqué dans la série des « nœuds » et « filets », ce sont les toiles elles-mêmes, d’origines diverses (draps, parasols, stores, toiles à matelas ou toiles de tentes…) qui guideront ses créations.
Cette œuvre de 1981 est réalisée avec des bâches de l’armée. À l’habituel camouflage militaire − les toiles étaient kaki à l’origine −, Claude Viallat répond par des contrastes vifs et colorés, les faisant se chevaucher en forme de voûte. Les bâches sont aussi utilisées pour leurs « accidents » (boucles, lacets, sangles..) qui permettent, entre autres, de l’accrocher.

Ce dispositif ainsi que la monumentalité de l’œuvre sont essentielles pour l’artiste qui expose dans des sites naturels du sud de la France (fin des années 60), à l‘abbaye de Sénanque à Gordes (1978), ou dans l‘immense espace du CAPC de Bordeaux (1980). Confrontée à d’autres œuvres et à l’architecture du lieu, Bâche Kaki s’impose physiquement au spectateur, dans un jeu d’interactions. Elle peut, selon les accrochages, être mise au sol, à l’envers, sur « tranche », horizontale ou verticale…

Quelques artistes
Marc Devade (1943-1983), Daniel Dezeuze (1942-), Patrick Saytour (1935-), Claude Viallat (1936-), Louis Cane (1943-), Bernard Pagès (1940-), Vincent Bioulès (1938-), Jean-Pierre Pincemin (1944-2005)…

Textes de référence

  • La peinture en question (7 juin-7 juillet 1969), Musée du Havre
  • Claude Viallat : œuvre, écrits, entretiens, éditions Fernand Hazan, 2006
  • Le site de Claude Viallat

Performance/ Body art/ Art corporel
Le corps comme étendard des libertés à conquérir Retour haut de page

« Choquer le public est inévitable si l’on veut que le public soit arraché à sa confortable anesthésie. »

Susan Sontag (in Styles of Radical Will, Picador, Usa, 2002)

« Le corps devient la toile vivante sur laquelle ils écrivent ou le marbre saignant qu’ils sculptent. »

Gilbert Lascault (Art vivant n°40-41, juin juillet 1973)

Le corps a longtemps été sujet de représentation dans l’art. Il va, à la fin des années 1960, devenir le principal support de l’expression artistique. Une jeunesse militante et provocatrice fait du corps un étendard, symbole des libertés à conquérir et des tabous à briser (morale, religion, sexe, drogue…). Une révolution qui s’affirme en mini-jupe, s’affiche sur les publicités, revendique l’amour libre et les expériences inédites… Une révolution des mœurs que l’art traduit par des manifestations centrées sur l’individu, où s’établissent des rapports plus directs entre artiste et public. Cet art vivant et frontal fait basculer l’artiste et son corps au-devant de son œuvre.

Dès le début du 20e siècle, le mouvement Dada, dans son Cabaret Voltaire à Zurich (de février à juillet 1916), théâtralise la fusion des disciplines artistiques, mettant le créateur sur le devant de la scène. Dadaïstes ou futuristes qui ont à cœur de s’impliquer physiquement dans leurs créations vont inspirer les générations suivantes.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’action painting de Jackson Pollock ou les créations du groupe Gutai au Japon figent la trace d’une gestuelle, d’un corps outil chorégraphié.
Au début des années 1950, le danseur et chorégraphe Merce Cunningham, qui collabore avec musiciens (John Cage…) et peintres (Robert Rauschenberg…) a une influence décisive sur le développement d’un art vivant que Julian Beck et le Living Theater vont continuer de renforcer.
Dans la même décennie, pour Yves Klein et ses anthropométries, le corps devient le support, le sujet et l’outil.

C’est définitivement avec Fluxus, au début des années 60, et les happenings d’Allan Kaprow que la performance, l’art corporel et le body art s’imposent internationalement. L’importance prise par le corps dans le processus créatif s’associe à une nouvelle conception du rapport entre artiste et spectateur.

Gina Pane, Action Escalade non-anesthésiée, avril 1971

Gina Pane, Action Escalade non-anesthésiée, avril 1971
Constat de l'action réalisée dans l'atelier de l'artiste, Paris
Un panneau de photographies et un bâti métallique retracent l'action de l'artiste, pieds et mains nus, gravissant la structure métallique dont les échelons sont munis de tranchants
323 x 320 x 23 cm

Le Body art se présente généralement sous forme d’actions, face à un public, parfois enregistrées ou filmées (ce qui est l’un des sujets initiaux de l’art vidéo). La création, qui peut être scénarisée, se caractérise souvent par une intervention directe sur le corps. Quand elle est transgressive, elle confronte l’artiste à ses limites. En voulant ébranler les conventions morales, celui-ci est amené à entrer en conflit avec les tabous et interdits, et soumet son public à une tension, l’incitant à réagir.

Gilbert et George, ORLAN ou Michel Journiac interrogent le public sur les codes qui régissent notre société par des jeux symboliques de travestissement. Valie Export, Gina Pane ou le groupe des actionnistes viennois repoussent loin les limites de ce que le public peut accepter (sexualité, politique, souffrance), Chris Burden va jusqu’à sa propre mise en danger de mort (Shoot, 1971). Mais si les tendances dures ont marqué le début du Body art, c’est de façon plus adoucie, dans des environnements choisis, avec des accessoires et technologies que la performance va évoluer. Dans les années 1980, l’artiste devient même « artiste-performeur-multimédia ».

Otto Muehl, Materialaktion n°25 : Das Ohr, Waschschüssel, Hinrichtung (Action matérielle n°25 : oreille, cuvette et exécution), 1966

Otto Muehl, Materialaktion n°25 : Das Ohr, Waschschüssel, Hinrichtung
(Action matérielle n°25 : oreille, cuvette et exécution), 1966

Tirages de 2001
Ensemble de 8 épreuves gélatino-argentiques à partir des négatifs originaux, 40 x 40 cm

Le groupe des actionnistes viennois, actif du début des années 1960 jusqu’en 1971, est connu pour ses actions violentes, blasphématoires ou politiques et marque une radicalisation de l’art en réaction à la situation spécifique de l’Autriche d‘après-guerre.
Otto Muehl est l’un des artistes principaux du groupe avec Arnulf Rainer, Hermann Nitsch et Rudolph Schwarzkogler. Sa première action, réalisée en 1963, est conçue comme une extension de ses peintures tachistes et de ses « sculptures de bric-à-brac », réalisées auparavant. Il établit, à partir de 1964, le concept « d’action matérielle », une peinture « qui se développe au-delà des limites de la surface du tableau ». Les toiles éventrées dans lesquelles intervenaient divers objets (« les big-bangs actionnistes ») laissent dorénavant place au corps, où accessoires et espace deviennent « surface du tableau ».

Materialaktion n°25, action photographiée et filmée, montre différentes parties du corps isolées (oreille, tête, jambe, sexe, doigt…), progressivement recouvertes de matériaux (objets, aliments, farine, pigments colorés) dans un tachisme symbolique et perturbant.
Ici, la tête souillée, isolée dans une bassine à proximité d’un paquet de lessive « omo », ressemble à une décollation. S’agit-il de condamner le lavage de cerveau totalitaire ou d’expurger les principes moraux inculqués par la société ?… Affublé d’un masque de chien et d’un chapeau, l’artiste est tour à tour attaché à un poteau puis à une table pour évoquer la soumission ou la torture dans un système répressif. Sans tabous ni hiérarchies, l’action se veut une critique de la société conservatrice autrichienne post-fasciste.

Quelques artistes
Gina Pane (1939-1990), Chris Burden (1946-), Laurie Anderson (1947-), Michel Journiac (1935-1995), ORLAN (1947-), Carolee Schneemann (1939-), Gilbert and George (1943- et 1942-), Otto Muehl (1925-), Hermann Nitsch (1938-), Günter Brus (1938-), Valie Export (1940-)…

Textes de référence

Olivier Font

Les postmodernismes Retour haut de page

Une remise en cause de l’Histoire
comme marche vers le progrès Retour haut de page

« La flèche du temps est devenu un plat de spaghetti. »

Bruno Latour

Le postmodernisme est-il l'un de ces termes qu’on utilise sans qu’on sache réellement ce qu’ils désignent ? Est-ce l'expression d'un désarroi face à la création contemporaine − serait-ce même un synonyme pour « art contemporain » ? −, ou renvoie-t-il à un style artistique précis, apparu dans les années 80 ?

S'il est un style, le postmodernisme est d'abord apparu en architecture. À la suite de la publication, en 1972, de l'ouvrage Learning from Las Vegas de Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour, les architectes remettent en cause les présupposés des constructions modernistes qui répondent au less is more de Mies van der Rohe : une architecture puriste et fonctionnaliste, bannissant le décor. À l'opposé, l'architecture postmoderne propose des bâtiments-sculptures pouvant s'autoriser une grande variété de formes, de matériaux et de couleurs, à l'image du « désordre de la vie » selon l'expression de Robert Venturi.
Mais plus fondamentalement, les architectes postmodernes s'opposent aux visées téléologiques des modernistes en quête de progrès, depuis les mouvements hygiénistes de la fin du 19e siècle jusqu'aux « unités d'habitations » de Le Corbusier. Tout en développant les acquis techniques et une réflexion ample sur la notion de territoire, ils en reviennent aux savoirs et formes vernaculaires. C'est dans ce sens qu'ils se situent après l'histoire : après la conception du temps comme une marche en avant.

vue de la salle 34, Les Postmodernismes

Collections contemporaines du Musée,
vue de la salle 34, Les Postmodernismes
Œuvres de Peter Fischli et David Weiss (au centre), John M Armleder, Allan McCollum, Thomas Huber

Le postmodernisme rejoint la notion philosophique de « fin des récits », développée par Jean-Francois Lyotard dans La condition postmoderne (1979). Par là, le philosophe entend marquer la fin d'une période où le temps est pensé comme un vecteur d'émancipation par la raison, selon la conception héritée du Siècle des Lumières et théorisée, par la suite, par Hegel comme un processus d'avènement de l'Esprit dans le monde (La Phénoménologie de l'Esprit, 1807). Ces théories expriment une confiance dans le projet scientifique moderne pour lequel le progrès technique apporte une amélioration dans la vie des hommes. La « fin des récits » manifeste la perte de croyance en l'ensemble de ces valeurs. C'est la fin, non pas de l'Histoire, comme l'annonçait Hegel dans le sens d'un accomplissement, mais d'une Histoire qui avait foi dans ce projet.

S'intéressant eux aussi à cette relecture de l'héritage des Lumières, les artistes de la fin des années 1970 remettent en cause les avant-gardes qui, durant le 20e siècle, jusqu'aux années 1960 ont pensé l'histoire de l'art sur le modèle d'un progrès contre l'obscurantisme.
Appliqué à l'art, le postmodernisme devient un positionnement par rapport au modernisme, pouvant prendre des formes divergentes. Si certains artistes, au début des années 80, ont défendu l'idée d'un retour à la peinture figurative, revenant en deçà des avant-gardes, d'autres déconstruisent certains aspects du modernisme artistique tout en poursuivant son caractère expérimental, en décloisonnant les disciplines et en pratiquant les hybridations ; en réintroduisant des points de vue oubliés par l'histoire − celui des femmes, celui des cultures extra-européennes... − ; en produisant des remakes et en réactivant d'anciennes œuvres qu'ils utilisent comme un matériau parmi d'autres. Dans ce cadre, si la peinture y est aussi présente, il s'agit surtout d'une peinture abstraite qui est déplacée hors du halo de sacralité qui pesait sur elle, pour être réinterrogée très simplement, et non sans humour.

En exprimant ces manières de se situer « après » le modernisme, le postmodernisme va par conséquent au-delà d'une simple question de style. À cet égard, ce serait plutôt l'art contemporain qui constituerait un cas particulier au sein d'une dominante culturelle, le postmoderne, défini comme rapport problématique à l'histoire.
Un rapport que résume, ainsi, Fredric Jameson : « Le plus sûr est d’appréhender le concept du postmoderne comme une tentative de penser le présent historiquement à une époque qui, avant tout, a oublié de penser historiquement » (Fredric Jameson, Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, introduction, 1991). Le postmodernisme proposerait donc de repenser la façon dont nous nous situons dans l'histoire, nous qui avons renoncé à faire de l'histoire un facteur déterminant de notre rapport au monde.

Les Œuvres Retour haut de page

Ce choix d’œuvres des collections contemporaines du Musée, présentées actuellement dans l’accrochage (salle 34), propose d’éclairer la notion de postmodernisme en art. Des œuvres qui instaurent un dialogue tant avec l’histoire de l’art que l’histoire politique du 20e siècle. 

Braco Dimitrijevic, Triptychos post historicus (Triptyque post-historique ; mère de Romulus & Remus), 1989

Braco Dimitrijevic, Triptychos post historicus (Triptyque post-historique ; mère de Romulus & Remus), 1989
Une armoire utilisée par François Delschneider d'où sort le tableau d'André Derain : Nu devant un rideau vert, 1923 (AM 2101 P) et quatre noix de coco posées sur et dans l'armoire
Bois, huile sur toile, noix de coco, 190 x 89,6 x 50 cm

Deux types de projets parcourent l'œuvre de l'artiste bosniaque Braco Dimitrijevic (né en 1948) : les photographies d'anonymes qu'il affiche en très grand format dans la rue et les Triptyques post-historiques qui rassemblent, chacun, en les plaçant au même niveau, un objet usuel, une œuvre d'art et un fruit ou un légume. Ici, il s'agit d'une armoire en bois, d'une peinture figurative à l'huile d’André Derain empruntée aux collections modernes du Musée et de quatre noix de coco ordinaires.

L'artiste rassemble en une œuvre ces objets hétérogènes, appartenant a priori à des catégories très différentes, jusqu'alors très étanches. Le rideau vert du tableau, jusqu'alors simple décor « derrière » le nu, saute aux yeux. Les noix de coco deviennent des sculptures primitives au fort potentiel sensoriel. Et l'armoire, le théâtre d'une mise en scène. En somme, la peinture de Derain, censée être un objet patrimonial précieux et qui, de surcroît, défendait à son époque un retour à la grande peinture et au savoir-faire de l'artiste, est reconduite au rang d'un objet ordinaire, tandis que les autres objets sont transmutés en œuvres. Ready-made inversé (l’œuvre comme simples objets) et ready-mades tout court (les objets comme œuvres) sont ainsi convoqués par Dimitrijevic pour brouiller les pistes de l'histoire de l'art. Il rend, en effet, co-présentes deux tendances qui se sont affrontées au cours du 20e siècle, le retour à la tradition et le geste le plus iconoclaste qui soit. Par là, il annihile la conception linéaire du temps qui sous-tend leur opposition. Avec les Triptyques post-historiques de Braco Dimitrijevic, les notions de conservatisme et d'avant-gardisme apparaissent comme des idéologies caduques dont l'artiste se débarrasse pour mieux revisiter l'histoire.

Ernest T, Sans titre, 1988

Ernest T, Sans titre, 1988
Peinture acrylique sur toile, agrandissement photographique, 240 x 160 cm
L'œuvre se compose :
- de 2 photographies noir et blanc : une photographie d'une gravure ancienne, une photographie de l'extrait d'un texte de Theodor W. Adorno paru dans la revue Mardi-Samedi, n°2, mars 1965, p. 15
- de 2 petites peintures fixées sur la photographie de la gravure (Peinture nulle n°47, 20,3 x 20  cm et Peinture nulle n°46, 19,9 x 20 cm)

Dans cette œuvre − le nom de l’artiste se limite à une lettre, et à sa date de naissance il préfère la mention : « Né pendant la Seconde Guerre mondiale ») − Ernest T confronte deux univers, jusqu'alors aux antipodes, auxquels s'en ajoute un troisième.
Ici, un texte philosophique d'Adorno, défenseur d'un art intellectuel, permettant de s'échapper hors du monde, est associé à une vignette populaire tirée d'un almanach, symbole d’un art de masse, diffusé précisément grâce aux procédés de reproduction mécaniques qu'Adorno fustige. Ernest T en assemble les agrandissements photographiques de chacun, de telle sorte que l'image apparaît comme une l'illustration du texte, comme si texte et image étaient les deux faces d'une même réalité.

Quant au troisième élément de cette œuvre, à mi-chemin entre les deux univers, ce sont deux réelles petites peintures abstraites, collées sur l'image en guise de décoration de l'intérieur bourgeois représenté. Composées de formes en T − signature de l'artiste −, peintes avec les trois couleurs primaires et emboîtées dans tous les sens, elles pourraient incarner le seul élément authentique de l'ensemble. Si ce n'est que l'artiste ruine d'avance cette interprétation en nommant la série à laquelle elles appartiennent ses Peintures nulles. Elles ne sont, en effet, que des pastiches de peintures abstraites issues de Malevitch, de Mondrian et du courant géométrique, représentants du modernisme pictural européen. Introduites dans ce salon bourgeois, elles soulèvent avec humour la question de la normativité du bon goût, imposée par l'élitisme dominant depuis le 19e siècle.

Ernest T, ici, en mettant en cause cette norme, rejoint la sociologie et notamment Pierre Bourdieu dans son ouvrage La Distinction, critique sociale du jugement, paru en 1979. Conceptuelle et distrayante, cette pièce incarne parfaitement la position « post » en tant que prise de distance par rapport au sérieux du modernisme dont elle hérite.

John M Armleder, Sans titre (FS 169), (Furniture Sculpture), 1987

John M Armleder, Sans titre (FS 169), (Furniture Sculpture), 1987
Acrylique sur toile, skai et bois
Toile : 100 x 100 cm
Divan : 69 x 163 x 70 cm

Une autre stratégie pour interroger les velléités spirituelles de l'abstraction géométrique moderniste est d'évoquer le fait que, comme n'importe quelle peinture, les œuvres de ce courant n'ont jamais cessé d'être achetées pour être accrochées dans des salons ou des salles à manger. Une œuvre d'art, quelle que soit la noblesse de ses aspirations, n'est-elle pas au fond qu'un décor ? Composée de peintures juxtaposées à des meubles ou à des objets courants, la série de Furniture Sculpture, commencée en 1979 par John M Armleder (né en 1948), pose cette question.

Parmi ces œuvres, « Sans titre (FS 169) est constituée d’une banquette noire disposée le long d’un mur, sur lequel est accrochée une peinture, digne parangon de l’abstraction géométrique avec ses deux carrés noir et blanc laissant le reste de la toile en réserve. La peinture est placée de sorte qu’une de ses diagonales se situe, plus ou moins, dans le prolongement de la bissectrice de l’angle formé par le dossier et le sommier de la banquette. La composition tire sa force de l’unité formelle et chromatique obtenue.
Cette pièce, qui faillit figurer dans une exposition intitulée « Wiener Diwan Sigmund Freud Heute », semble convoquer l’abstraction géométrique sur le divan du psychanalyste. La peinture vient peut-être y parler du refoulement dont elle a été victime durant le modernisme. Alors soucieuse de la seule quête de son essence, elle s’était repliée sur elle-même, s’interdisant tout commerce avec les autres objets du monde. La série Furniture Sculpture aura décisivement œuvré à l’émancipation de la peinture grâce au jeu d’un formalisme élargi, délivré de la tutelle essentialiste du modernisme ». (Michel Gauthier, extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Centre Pompidou, 2007.)

Sylvie Fleury, Tableau n°1, 1992

Sylvie Fleury, Tableau n°1, 1992
Peinture acrylique et fourrure synthétique sur bois, 96 x 60,2 cm

Sur le thème du refoulé de la peinture moderniste, Sylvie Fleury (née en 1961), avec son Tableau n°1, apporte sa joyeuse contribution en révélant à quel point le féminin a été exclus de l'histoire de l'art. Ayant travaillé avec John M Armleder, elle poursuit la même critique du rationalisme dans l'art du 20e siècle, grâce à la confrontation de la peinture avec des objets prosaïques. Mais Sylvie Fleury transpose cette problématique dans un univers marqué par sa réinterprétation du féminisme, revendiquant avec une douce ironie le droit au plaisir et à la futilité, tel qu'en procure le maquillage ou le shopping. Elle a, par exemple, réalisé un monochrome rouge entièrement peint en rouge à lèvres.

Ici, sur une contrefaçon d'une toile de Mondrian, à la place des sobres aplats habituels, elle a collé des morceaux de fourrure synthétique à l'aspect chatouilleux, fanfreluches échappées d'un quelconque magasin de décoration fantaisie, qui respectent toutefois le code couleur cher au peintre : les trois couleurs primaires, manifestement soulignées ici pour leur clinquant plus que pour leur pureté.

Après la robe Mondrian d'Yves Saint-Laurent en 1965, le néoplasticisme achève, avec Sylvie Fleury, sa parfaite reconversion pop. Les deux univers du grand art et de la marchandise sont réconciliés. Comme l'indique le titre de l'une de ses œuvres installée à Genève, un néon placé dans l'espace public, la position à laquelle nous invite Sylvie Fleury pourrait se résumer par cette formule : « Yes to all ».

Allan McCollum, Plaster Surrogates (Substituts en plâtre), 1985

Allan McCollum, Plaster Surrogates (Substituts en plâtre), 1985
20 éléments en céramique à froid sur plâtre

Depuis 1978, Allan McCollum (né en 1944) réalise des Surrogates, littéralement des « substituts », séries d'œuvres qui sont des « faux » tableaux modernistes, et plus précisément, des « faux » monochromes.
L'artiste a commencé par des Surrogates Paintings, ensembles de monochromes peints en grande quantité présentés dans des cadres en bois ou des cadres entièrement repeints, formant de grands accrochages multicolores. À partir de 1982, les Plaster Surrogates, des tableaux en plâtre recouverts de céramique, comme l'énonce sans ambiguïté leur titre, lui permettent d'agrandir l'échelle de sa production et de proposer un art de masse. Mais loin d'une critique ironique de la société de consommation, sa démarche viserait plutôt idéalement à créer « une œuvre pour chaque être vivant sur la planète » (Jill Gasparina, L'art à une échelle de masse, 2008).

Car ces œuvres sont toutes à la fois semblables et différentes. Réalisées à la main dans un atelier dirigé par l'artiste, elles obéissent à une géométrie irrégulière et sont datées et signées par lui. C'est la quantité toujours plus grande d'œuvres qui les éloigne du monochrome « traditionnel ». L'univers mystique autour du monochrome est lié à l'unicité et à l'authenticité d'une œuvre : les peintures d’Yves Klein ou de Robert Ryman, par exemple, réclament un face à face avec le spectateur.(1)  

Au contraire, les Surrogates de McCollum se démultiplient sur des murs entiers, évoquant les cimaises chargées des vieux musées de peintures. La multiplication les rend tout à la fois proches et lointaines, familières comme les chromos de Montmartre que tout le monde peut s'offrir, et mystérieusement muettes comme les carrés noirs de Malevitch. Plus qu'une remise en cause du monochrome, ils en sont un hommage, une version up to date, à l'âge de la consommation de masse. Une autre manière d'être postmoderne.

(1) Pour un parcours à travers l'histoire du monochrome, voir le dossier pédagogique : Le Monochrome. Parcours dans les collections moderne et contemporaine. 2011-2012

Thomas Huber, Das Bilderlager (Le Dépôt de tableaux), 1988

Thomas Huber, Das Bilderlager (Le Dépôt de tableaux), 1988
Huile sur toile, cadre peint par l'artiste
150 x 299,5 cm ; avec cadre : 164 x 313,5cm

Le thème de la réserve de tableaux revient plusieurs fois dans l'œuvre du peintre Thomas Huber (né en 1955).
Das Bilderlager, toile de grand format (plus de trois mètres de large), représente un lieu architectural, dont on ne sait s’il s’agit d’un espace extérieur ou intérieur, d’une évocation de ville ou d’un lieu de réserve, dont la mise en perspective semble comme happer le spectateur. Constitué de boîtes, d’étagères et de meubles de rangements divers, ce dépôt de tableaux, lieu habituellement interdit au public et qui lui est ici ouvert, ne montre aucune œuvre.

Dans d'autres tableaux, Thomas Huber a représenté des peintures, mais seulement visibles de dos, côté châssis. Ici, la toile, si elle rappelle bien des vues anciennes de musées ou de collections privées, ne contient aucune image dans l'image. Seules des boîtes ouvertes portent des mots, weinen (« pleurer »), lachen (« rire »), Licht (« lumière »), Schatten (« ombre »), feucht (« humide »)… qui indiquent, de manière laconique, un contenu disparu, comme si les œuvres avaient été sorties des réserves pour être accrochées dans les salles.

Paradoxe donc de cette visite privilégiée d'un lieu caché dont le trésor a été révélé au grand jour, ailleurs. Reste alors à observer l'agencement bigarré de cet intérieur qui rappelle le postmodernisme architectural et ses matériaux hétérogènes, ses couleurs, son mélange des styles. Là, le bois côtoie la pierre, la couleur verte le noir et le gris. À l'arrière-plan notamment, une construction qui ressemble à un immeuble des années 1950 avoisine une forme évoquant un sarcophage ou une pyramide inca. Dans cet ensemble, l'absence de toute présence humaine crée une ambiance de mystère digne des peintures métaphysiques de de Chirico, réalisées à une époque où les artistes faisaient aussi le bilan des avant-gardes qui les avaient précédés.

Bibliographie
Essais sur le postmodernisme

  • Fredric Jameson, Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif (1991), Ecole supérieure nationale des beaux-arts de Paris, 2011
  • Bruno Latour, Nous n'avons jamais été modernes. Essai d'anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991
  • Achille Bonito Oliva, La Transvanguardia italiana, Milan, Politi, 1980
  • François Lyotard, La condition postmoderne, Paris, Editions de Minuit, 1979 ; Le postmodernisme expliqué aux enfants, Paris, Galilée, 1988
  • Braco Dimitrijevic, Tractatus Post Historicus (1976), Philadelphie, Slought Foundation, 2009

Vanessa Morisset

Une caresse au goût du public Retour haut de page

La réception de la création contemporaine à partir de
l’exposition « Les Fruits de la passion » Retour haut de page

« L'art est devenu contemporain en nous parlant de notre vie de tous les jours. »

Catherine Millet, L'art contemporain, 1997, éditions Flammarion

Que vient-on chercher dans un musée ou une exposition d'art contemporain ?
Les œuvres que l'on y rencontre invitent à se poser cette question, tant elles peuvent dérouter si l'on est en quête, comme dans d'autres musées, d'objets rares et précieux qui nous apporterons des connaissances, des émotions, de la beauté, de l'admiration...  Il est possible que ces objets les apportent, mais il est possible aussi qu'ils ne les apportent pas. La création actuelle amène ainsi à se demander : le musée doit-il être un vecteur de culture, voire d'élitisme, d’émotion, ou autre chose ?

Très souvent, ces œuvres se composent d'éléments connus, même quotidiens, faisant partie d'une culture commune. D'où l'impression de facilité émanant de certaines d’entre elles, qu'elles soient composées de pacotilles ou de pneus de voitures : elles parlent simplement le langage de tout le monde.

L'artiste ne se veut plus coupé du monde, enfermé dans une transcendance qu'il s'agirait de rejoindre à travers son œuvre. La conception de l'artiste démiurge inventée à l'époque romantique et cultivée jusqu'aux avant-gardes du 20e siècle n'est plus celle qui prévaut aujourd’hui. Au contraire, l'artiste évolue dans l'immanence, vivant dans le même monde que tout un chacun.

L'exposition intitulée Les Fruits de la passion est l'occasion d'explorer quelques-unes des œuvres les plus récentes des collections du Musée qui incarnent ces problématiques. Acquises grâce aux donateurs de la Société des Amis du Musée national d'art moderne, elles reflètent le goût d'un public d'amateurs convaincus.
Projet pour l'art contemporain, structure vouée à l'acquisition d'œuvres tout juste créées, a été mis en place il y a dix ans. Son originalité est « de donner la parole aux collectionneurs, de les solliciter pour leurs idées, leurs priorités sur la scène contemporaine de l'art », explique Alfred Pacquement, directeur du Musée. Louis Nègre, président du Pac, ne cache cependant pas la difficulté de la mission : « Comment exercer une veille efficace, comment s'assurer qu'aucun artiste émergent important ne passe à travers les mailles du filet et, à terme, ne fasse défaut aux collections, alors que plus tard, c'est-à-dire trop tard, le prix et la rareté compliquent singulièrement un achat ? ».

Pourquoi arrive t-il que ces œuvres, alors qu’elles sont ancrées dans la société actuelle, ne soient pas toujours comprises ? L'approche de quelques-unes d'entre elles, variées tant dans leurs intentions que dans leurs techniques, réalisées par des artistes provenant des quatre coins de la planète, permettra peut-être de répondre à cette question.

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Hans-Peter Feldmann, Shadow Play (Paris), 2011

Hans-Peter Feldmann, Shadow Play (Paris), 2011
Bois, moteurs électriques, lampes, métal, céramique, plastique, papier, tissu, verre, fer blanc
Une salle de 12 x 8 m. Hauteur sous plafond : 3 m
Une table de 80 cm de hauteur, plateau de 8 m x 1 m (ou en plusieurs morceaux)

Créée spécialement pour son acquisition en 2011, cette pièce de Hans-Peter Feldmann (né en 1941) est une installation constituée d'une table rudimentaire − des plateaux sur des tréteaux − où sont posés, sur des socles tournants, des objets de pacotille, savamment éclairés, de sorte à constituer un petit théâtre d'ombres improvisé.
En clin d'œil à sa destination parisienne − l'artiste a auparavant réalisé d'autres versions de Shadow Play , Hans-Peter Feldmann a placé quelques souvenirs touristiques de la ville tels que la Vénus de Milo du Louvre et surtout la Tour Eiffel. Dans la continuité des travaux qu'il réalise depuis le début des années 1970, collections de photographies, de cartes postales, de petits objets sans grande valeur marchande, cette œuvre souligne la richesse émotionnelle autant qu'ethnologique des trésors que nous conservons depuis l'enfance, sans toujours l'avouer. Les ombres les font apparaître à la manière d’un rêve ou d’un souvenir refoulé qui affleure à la conscience.

Dans sa définition de l'art contemporain, Catherine Millet explique, à propos d'une sculpture de Jeff Koons inspirée d'objets-souvenirs des Alpes, qu’« Il s'agit d'aimer aussi la bimbeloterie nostalgique qui continue d'encombrer le monde moderne : le souvenir des vacances de Haute-Savoie qui trône sur le poste de télévision ». Une affirmation qui peut tout aussi bien s'appliquer ici. Hans-Peter Feldmann nous invite à nous réconcilier avec notre propre mauvais goût, tant il révèle une réalité ancrée au cœur de notre vie affective.

Ernesto Neto, We stopped just here at the time, 2002

Ernesto Neto, We stopped just here at the time, 2002
Lycra, clou de girofle, curcuma, poivre, 450 x 600 x 800 cm

« Une colonnade en suspension, de souples voiles claires plongeant plus ou moins vers le sol en s'étirant sous le poids de grosses masses d'épices exotiques qui répandent leurs subtils parfums. C'est beau, cela sent bon, cela invite à circuler, à pénétrer, à toucher. » Ainsi décrivent Sylviane et Louis Lugrand leur première impression en découvrant l'œuvre d'Ernesto Neto (né en 1964), dont ils ont défendu l'achat dans le cadre du Pac.

Il est vrai que les installations de l'artiste brésilien, avec leurs couleurs, leurs parfums et la douce pesanteur que leur matière évoque, s'adressent avant tout aux sens. De grandes dimensions, elles sont comme des environnements qui sollicitent le corps entier. Certaines sont d'ailleurs pénétrables. Celle-ci, avec son odeur de clous de girofle et sa couleur de curcuma, évoque le plaisir de se promener dans les allées de marchés aux épices où l'on achète les précieux aromates, au poids, dans de petits paquets. En réveillant ces sensations voluptueuses, l'artiste renoue avec un art simple, « quelque chose comme un bon fauteuil » disait Matisse, qui rend la vie plus belle.

vue de la salle 24, Les Fruits de la passion

Collections contemporaines du Musée,
vue de la salle 24, Les Fruits de la passion
Œuvres de Bertrand Lamarche (au centre), Wilhelm Sasnal, Farah Atassi
Bertrand Lamarche : Lobby (Hyper Tore), 2010

Comme un être hybride entre le robot et le vivant, mi-sympathique mi-inquiétant, la sculpture de Bertrand Lamarche (né en 1966), intitulée Lobby (Hyper Tore), semble échappée d'un roman de science-fiction. Cette référence qui participe autant de la culture populaire que de la philosophie est, depuis les années 1990, récurrente chez les artistes pour évoquer les rapports entre l'art et la science, les questions d'entropie et d'écologie et l'avenir de notre civilisation. Elle croise un regain d'intérêt actuel, de la part des jeunes artistes comme des historiens et critiques d'art, pour les œuvres d'art cinétiques apparues majoritairement dans les années 1950-60, à l'époque d'une foi en la science et la technique.

Si cette foi est désormais révolue, on les considère aujourd'hui avec une distance qui permet de mieux percevoir l'étendue de leurs implications. En particulier, on redécouvre la richesse de la science comme source d'inspiration pour l'imaginaire. L'œuvre de Bertrand Lamarche est une réalisation exemplaire de ces centres d'intérêt. Couronne tubulaire animée d'un moteur, elle s'enroule entièrement sur elle-même, créant l'illusion de s'approcher de nous tout en restant sur place. Grâce à ce mécanisme parfait, elle donne à voir un mouvement perpétuel qui fascine autant le regard que la pensée.

Pour en savoir plus sur Bertrand Lamarche, voir le site de l'artiste

Oscar Tuazon, Tire test Column, 2009

Oscar Tuazon, Tire test Column, 2009
Béton, caoutchouc, grillage métallique, contreplaqué, acier
Hauteur : 255 x cm. Diamètre : 56 cm. Poids : 440 kg
(123 cm de béton et 132 de pneus)

Malgré sa banalité apparente, cette œuvre d’Oscar Tuazon (né en 1975) est sans doute, dans cette sélection, celle qui prête le plus à polémique. Serait-ce parce que sa forme rappelle la statuaire classique, avec un socle et une sculpture qui s'élance dans une verticalité triomphale ? Ou encore parce qu'elle évoque certaines œuvres de Brancusi − et fait même explicitement référence, pour les historiens de l'art du 20e siècle, à ses Colonnes sans fin ? Serait-ce donc parce qu'elle peut s’inscrire dans une lignée d'œuvres de grande valeur, dont elle hérite toutefois d'une manière qui semble désinvolte, avec des matériaux communs, assemblés sans habileté particulière, qu’elle dérange ?

Toutefois, si ces arguments sont pertinents, pourquoi nous empêcheraient-ils d'être attirés par cette œuvre ? Tout simplement, nous pouvons la percevoir comme un totem d'aujourd'hui, érigé avec des matériaux immédiatement disponibles − l'artiste se fournit dans la rue et sur les chantiers −, nous protégeant, par l'insouciance qu'elle dégage, d'un mauvais œil contemporain. On peut aussi imaginer qu’elle est destinée à des archéologues du futur qui s'interrogeront à partir d'elle sur notre civilisation. En somme, le geste simple et efficace de l'artiste peut être apprécié en lui-même avant de partir, si la curiosité nous y incite, en quête d'informations qui nous aideront à la comprendre plus amplement. 

Pour en savoir plus sur l'œuvre d’Oscar Tuazon, voir l'article de François Aubart dans la revue 02 en 2010

Adam Adach, Dernier été, 2002

Adam Adach, Dernier été, 2002
Huile sur toile, huile sur medium
Polyptyque composé de cinq tableaux :
Minderheit, 80 x 85 cm. R.B., 41 x 33 cm. Mamaïa, 64,5 x 80,7 cm
Dernier été, 64,5 x 46 cm. Nino, 27 x 34,7 cm

Composée non pas d'un tableau mais de cinq, cette œuvre d'Adam Adach (né en 1962) est représentative d'un courant de renouveau pictural qui a su se libérer du poids de la tradition et des prestigieux exemples du passé. Au contraire, la nouvelle génération aborde la peinture en la mêlant à d'autres pratiques contemporaines : l’accrochage des toiles, proche de l’installation, suggère une amorce de narration, grâce à une peinture aux tons crémeux inspirés de photographies jaunies.

Par le biais de cette disposition et de cette matière picturale, les toiles évoquent, avec une grande poésie, l'histoire familiale de l'artiste marquée par l'histoire de son pays d'origine, la Pologne. Certaines renvoient à de douloureux événements politiques, le nazisme, le stalinisme, par exemple le tableau intitulé Minderheit qui représente des manifestants d'extrême-droite au bord de la Vistule à l'époque du IIIe Reich, ou encore Mamaïa inspirée d'une photo de l'album de famille de l'artiste où l'on voit son père poser avec des camarades devant une statue de propagande soviétique. Juste à côté, une image plus douce, reprenant une photo de vacances, montre une femme vêtue d'un maillot de bain démodé sur une plage, peut-être la mère de l'artiste. Intitulée Le Dernier été, elle a donné son nom à l'ensemble et lui communique sa tonalité nostalgique. Adam Adach se réapproprie ainsi, par la peinture, l'écriture de l'histoire qu'il nous rend avant tout sensible.

Bibliographie sélective

Essais

  • Jean-Yves Jouannais, L’idiotie : art, vie, politique - méthode, Paris, Beaux-Arts, Éditions 2003
  • Catherine Millet, L'Art contemporain, Paris, Flammarion, coll. Dominos, 1997

Catalogue d'exposition

  • Les Fruits de la passion, Centre Pompidou, 2012

Vanessa Morisset

Le design et l’architecture au Centre Pompidou Retour haut de page

« Introduire la beauté des formes dans la vie de tous les jours », c'est ainsi que le président Georges Pompidou envisageait le rôle du Centre de création industrielle (Cci), et ce dans « un espace (qui serait) le contraire du musée traditionnel ». Le Cci, association loi 1901, née en octobre 1969 dans le giron du musée des Arts décoratifs, est créé pour promouvoir et faire connaître le design industriel. Dès l'origine du projet du Centre Beaubourg (1971) − qui, après la mort du président Pompidou, prendra le nom de son fondateur, Centre national d‘art et de culture Georges Pompidou −, il est associé au futur établissement. À partir de 1973, devenu l’un de ses quatre départements, il présente − toujours dans les murs de la rue de Rivoli − une série d'expositions qui font date et quelquefois polémique2. Certaines s'attachent à vulgariser la discipline à travers des approches et des pratiques différentes3.

Dès l'ouverture du Centre Pompidou (début 1977), le Cci élargit son champ au cadre de vie, à l'architecture et à la ville (Le temps des gares, Architectures de terre, etc.), engageant les visiteurs à une autre lecture de l'espace et du quotidien. Se succèdent expositions thématiques et présentations monographiques éclairant la figure d'un designer ou d'un architecte. Les grandes expositions Paris-New York, Paris-Berlin, Paris-Moscou, Paris-Paris, Vienne, l'apocalypse joyeuse auxquelles il participe, témoignent des liens intimes entre art, architecture et design et de l'approche transdisciplinaire caractéristique de l’établissement.

En 1992, le design et l'architecture entrent dans le champ culturel des arts majeurs. Le Centre de création industrielle et le Musée national d’art moderne, actant la diversité de la création et le principe de transdisciplinarité artistique au sein de l'institution, fusionnent. D'abord cantonnées dans des salles spécifiquement dédiées, les œuvres des architectes et des designers vont progressivement, au gré des accrochages, se trouver mêlées aux œuvres d'art. Aujourd'hui, les deux modes de présentation coexistent pour servir les parcours imaginés par les conservateurs.
L'accrochage, actuellement présenté au 4e niveau, propose de renouveler le regard sur les collections de design depuis les années 1960 jusqu'aux productions les plus récentes, en mettant l'accent sur la dimension prospective de la discipline, ainsi que sur quelques projets d'architecture.

1960/1970 : les années pop Retour haut de page

Piero Gatti, Cesare Paolini, Franco Teodoro, Pouf Sacco, 1968 - 1969

Piero Gatti, Cesare Paolini, Franco Teodoro, Pouf Sacco, 1968 - 1969
Edité par Zanotta. Nova Milanese
Sac de vinyle avec fermeture à glissière, rempli de billes de polystyrène expansé, 100 x 85 x 100 cm
poids: 3,5 kg

« Less is a bore » (Moins, c'est l'ennui), cette réponse des architectes Robert Venturi et Denise Scott Brown au « Less is more » (Moins c'est plus) de Mies Van der Rohe caractérise le design des années 1960 et 70. Une rébellion contre le conformisme marque ces deux décennies.

L'esthétique du pop art avec son appropriation de la culture populaire se retrouve dans les meubles proposés sur le marché révélant déjà une porosité entre le monde de l'art et du design. Cependant, les propositions des designers (salle 5) s'inscrivent pleinement dans la société de consommation : chaque saison voit de nouvelles propositions témoignant de l'évolution des styles de vie. Industrialisation et standardisation du logement imposent de nouvelles manières d'habiter et une nouvelle façon de s'équiper. Le besoin restreint de meubles dans un espace qui intègre déjà rangements, penderies, placards, met l'accent sur le siège qui devient le moyen d'expression privilégié des designers.

Avec la S chair, Verner Panton crée une icône du design avec sa forme curviligne et son porte-à-faux spectaculaire. Moulée d'une seule pièce, sans aucun assemblage, cette interprétation de la chaise Zig Zag de Gerrit Rietveld matérialise le rêve de nombre de designers du 20e siècle : une production économique à grande échelle. Conçue en 1960, elle ne sera produite qu'à partir de 1967, une fois les problèmes techniques pour sa réalisation résolus, Panton utilisant les techniques de moulage de matériaux de synthèse ABS (acrylonitrile batadiennestyrène) pour obtenir une forme nappée unique, faisant office d'assise.

De fait, la période offre une grande variété dans les matériaux, (plastiques, mousses polyuréthane, textiles extensibles …), les mises en œuvre, les formes, l'explosion des couleurs. Ces nouvelles techniques vont ouvrir la voie à un univers formel inédit. Le Sacco (1968) de Piero Gatti, Cesare Paolini et Franco Teodoro, sac de vinyle rempli de billes de polystyrène, se plie à toutes les postures du corps introduisant une dimension informelle.

Résurgence de la couleur Retour haut de page

Verner Panton. Sofa Living Sculpture, 1970-71Olivier Mourgue, Personnage « Bouloum ». Signalisation Osaka, 1970 et Jean-Philippe Lenclos, Décor supergraphique, 1973

Collections contemporaines du Musée,
vues de la salle 16, Environnements polychromes
1. Au centre : Verner Panton. Sofa Living Sculpture, 1970-71
220 x 510 x 430 cm
2. Olivier Mourgue, Personnage « Bouloum ». Signalisation Osaka, 1970
183 x 65 cm
Jean-Philippe Lenclos, Décor supergraphique, 1973
Commande de la revue Elle. Retirage en 2011

Si la couleur investit massivement les intérieurs des années 60 et 70, il faudra plus de temps pour la voir réapparaître en architecture. Longtemps proscrite des façades, la couleur fait, ces dernières années, un retour remarqué. Avec Environnements polychromes, la salle 16 propose une mise en lumière des travaux liant couleur et architecture et réhabilite les interventions des coloristes industriels, métier né après-guerre dans l'euphorie des Trente glorieuses. La spécificité du travail d'André Lemonnier ou de Jean-Philippe Lenclos, précurseurs en ce domaine, en témoigne. Le premier intervient très tôt sur les espaces de travail, usines ou sièges sociaux en réalisant leur mise en couleur. Le second a arpenté le monde pour établir à partir de l’analyse du patrimoine historique, ce qu'il nomme la Géographie de la couleur (planches Italie, Danemark, Écosse, Belgique, Pays-Bas). À travers son « Atelier 3D Couleur », fondé en 1978, il s'est consacré à la conception et l’application de la couleur en trois dimensions pour l’environnement, l’architecture et les produits industriels.

Neuterlings Riedijk Architecten, Institut du son et de l'image de la télévision néerlandaise, Hilversum, Pays-Bas, 1999-2006

Neuterlings Riedijk Architecten, Institut du son et de l'image de la télévision néerlandaise, Hilversum, Pays-Bas, 1999-2006
Projet réalisé. Maquette, 88 x 192 x 192 cm

Après les volumes blancs de l'architecture fonctionnaliste4, la vérité des matériaux comme le béton brut ou l'acier, laissés apparents, le recours à la chromie permet de donner une identité aux bâtiments. Ainsi l'Institut du son et de l'image de la télévision néerlandaise (1999-2006) à Hilversum, réalisé par Neuterlings Riedijk Architecten, semble indiquer que l’architecture sert ici d’outil de communication : son enveloppe imaginée par le graphiste Jaap Drupsteen est composée de milliers de plaques de verre imprimées d’images floutées, captées à la télévision hollandaise, instituant un rapport direct avec le contenu et la fonction du bâtiment.

Le nouveau millénaire : art et recyclage Retour haut de page

Le design des décennies 1990 et 2000 (salles 26 et 29) est comme pour les périodes précédentes le produit d'enjeux économiques et sociaux. La première décennie du nouveau siècle est le théâtre d'une crise comparée par certains économistes à la Grande dépression des années 30. Cette récession globale affecte la création et modifie tant les attitudes de consommation que les méthodes de conception. Un design responsable se fait jour qui prend en compte les notions d'écologie, de développement durable et de recyclage. « Ce que les designers savent vraiment faire, c'est travailler avec ce qu'ils ont sous la main […], il y aura moins de design mais un bien meilleur design », affirmait en 2009 Paola Antonelli, conservatrice du design au MoMA de New York5.

Demakersvan (Joep, Jeroen Verhoeven et Judith de Graauw), Table Cinderella, 2005 (face)Demakersvan (Joep, Jeroen Verhoeven et Judith de Graauw), Table Cinderella, 2005

Demakersvan (Joep, Jeroen Verhoeven et Judith de Graauw), Table Cinderella, 2005
Contreplaqué de bouleau. Découpe par machine-outil à commande numérique
80 x 132 x 101 cm

L'approche des designers se veut pragmatique et au plus près des besoins des gens. En témoigne le nom du groupe Demakersvan (Ceux qui font des choses). Le propos est d'apporter une réponse aux besoins des usagers en optimisant au mieux les processus de fabrication et l'utilisation de la matière. Pour preuve, la table Cinderella (2005) de Joep et Jeroen Verhoeven et Judith de Graauw, en contreplaqué de bouleau, ou le siège Lounge chair (2006) de Joris Laarman, dont l'épaisseur de résine de polypropylène avec laquelle il est fabriqué varie en fonction de la répartition des charges auxquelles il est soumis.

5.5 designers (Jean-Sébastien Blanc, Vincent Baranger, Anthony Lebosse, Claire Renard, David Lebreton), Chaise soignée avec béquille, 2004

5.5 designers (Jean-Sébastien Blanc, Vincent Baranger, Anthony Lebosse, Claire Renard, David Lebreton), Chaise soignée avec béquille, 2004
Chaise de récupération, béquille en acier laqué vert, 95 x 45 x 45 cm

En parallèle, le recyclage devient une philosophie de conception à part entière. Ainsi Maarten Baas, avec sa Treasure Chair (2005), crée une assise avec des chutes de MDF (pour Medium Density Fiberboard, panneau de fibres à densité moyenne) chevillées et collées, tandis que les 5.5 designers avec leur projet Reanim, mené en partenariat avec le Secours populaire, soignent de vieux meubles à l’aide de prothèses en plexiglas ou de béquille réglable en métal… Cette approche permet la résurrection du mobilier abandonné. La même attitude prévaut chez Enzo Mari lorsqu'il transforme, par une intervention minimale, des flacons de produits ménagers en plastique en vases ou contenants divers.

Jurgen Bey et Jan Konings, Mobilier Kokon Furniture, 2001

Jurgen Bey et Jan Konings, Mobilier Kokon Furniture, 2001
Meuble de récupération, peau en polèmère, 96 x 102 x 60 cm

De leur côté, Jurgen Bey et Jan Konings s'attachent à récupérer des meubles mis au rebut, ici un banc et une chaise, pour Mobilier Kokon Furniture  (2001), à les assembler et à les recouvrir de résine. Meubles ou objets usagés fusionnent en une forme nouvelle, améliorée et rajeunie. Ainsi traités, les éléments mobiliers affichent une nouvelle identité, le recours à des meubles ayant déjà servi offrant aux designers un choix esthétique qui s'inscrit dans une démarche écologique. Le projet transfère au meuble une charge de nostalgie et d'affectivité inhérente aux objets préexistants.
Autre manière de réactiver un produit existant, le détournement : c'est ce procédé qu'adopte Matali Crasset lorsqu'elle s'empare, pour les besoins d'une scénographie, d'un objet de consommation de masse, un sac en non tissé qu'elle transforme en pouf (Poufs digestion n°1, 1998) en le remplissant d'un bloc de mousse.

Satyendra Pakhalé, Radiateur Add-on, 2003 - 2007

Satyendra Pakhalé, Radiateur Add-on, 2003 - 2007
Fabriqué par Tubes Radiatori
Resana
Prototype de 48 éléments
Céramique, 0,50 x 1,50 cm

La géographie du design change aussi. La discipline n'est plus seulement occidentale mais l'Inde, la Corée, la Chine ou le Brésil, très actifs, apportent un autre regard dans ce domaine. S'inscrivant dans la mondialisation, les créateurs conjuguent inspiration locale et hyper technologie. C’est le cas, notamment, de Satyendra Pakhalé (né en Inde en 1967 et travaillant aujourd’hui à Amsterdam) avec son Radiateur Add-on, 2003-07, transposition des parois ajourées caractéristiques des habitations du sous-continent, ou avec Akasma baskets, 2002, un ensemble de bols et de plateaux traditionnellement fabriqués en vannerie et ici transposés en verre courbé.

Marc Fornes, *Y/Struc/Surf., 4 juin 2010

Marc Fornes, *Y/Struc/Surf., 4 juin 2010
29 éléments
Aluminium anodisé et peint
Surface au sol : 4 x 4 m ou 5 x 5 m

En parallèle à ce design mondialisé, coexiste un design réalisé en pièce unique ou en série limitée, produit pour le marché exclusif d'une clientèle éclairée. Les pièces de Martin Szekely (Black Mirror, 2007) et de Ron Arad (Siège Uncut, 1997) participent de cette démarche. Ce design haut de gamme rejoint les préoccupations, les vecteurs de diffusion et le public de l'art contemporain, des galeries se spécialisant sur ce segment de marché. L'abolition des frontières entre design et art se retrouve aussi avec *Y/Struc/Surf. (2010). Pour concevoir cette structure organique qui ressort d'une architecture non standard, Marc Fornes, architecte français installé à New York, utilise l’écriture algorithmique pour mettre au point un protocole encodé générateur d'une architecture-sculpture.

Mylène Glikou

 

 

Crédits

© Centre Pompidou, Direction des publics, mars 2013
Textes : Olivier Font, Mylène Glikou, Ronan Le Grand, Vanessa Morisset, Marie-José Rodriguez
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cyril Clément

Dossier en ligne sur http://mediation.centrepompidou.fr
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques Retour haut de page

Références

_1 Le président Mao aimait à rappeler, par le dicton : « L'arbre préfère le calme, mais le vent continue de souffler », que la lutte des classes est un fait objectif, indépendant de la volonté de l'homme.

_2 On peut mentionner la proposition de Gaetano Pesce, celle de Paul Virilio, Bunker Archéologie  ou encore Architectures marginales aux États-Unis.

_3 Qu'est ce que le design ? présentait le travail de cinq designers, Joe Colombo, Charles Eames, Fritz Eichler, Verner Panton et Roger Tallon. Ils sont tous présents, à travers leurs productions, dans les collections du Mnam-Cci.

_4 « Le blanc est la couleur des temps modernes, la couleur qui abolit tout une ère ; notre ère est celle de la perfection, de la pureté et de la certitude [...] Blanc inclut tout. Blanc pur blanc... », affirme Theo van Doesbourg.

_5 Cité par Michael Connell in « Design loves a Depression », New York Times, 3 janvier 2009

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