Danse
contemporaine - Pour une chorégraphie des regards
Un bouleversement des codes / 1
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5. Chorégraphes, interprètes…
un brouillage des rôles
Inventant de nouveaux processus de création et de mise en commun, chorégraphes et interprètes sont amenés à redéfinir les rôles de chacun auxquels la danse nous avait habitués. De telle sorte, qu’ici, plutôt que d’interdisciplinarité, on parlera volontiers d’indisciplinarité.
La notion de "danse d’auteur"
Un peu sur le modèle du cinéma du même nom, les
chorégraphes des années 80 sont parvenus à faire reconnaître
la notion de danses d’auteur. Selon ce modèle, des compagnies
produisent alors des pièces clairement formatées et signées,
dûment reconnues par les pouvoirs publics, qui favorisent leur diffusion
au sein d’un réseau de programmation stable.
Mais les enjeux se déplacent très vite. Cela notamment lorsque
les interprètes eux-mêmes, de "simples danseurs", imposent
une réflexion sur la part considérable qui est la leur dans l’invention
du geste, selon la conception contemporaine de la danse. Ne sont-ils pas auteurs
de quelque chose?
Inventer et produire autrement
Par ailleurs, comme du temps de la post modern dance, se répand
l’envie de sortir des salles de spectacle conventionnelles, de se confronter
à d’autres espaces, et d’oser une indisciplinarité
entre les divers arts. Il est aussi question de se défaire du calibrage
des œuvres imposé par les impératifs de diffusion, ou encore
de briser l’isolement des auteurs campés dans la posture romantique
du créateur démiurge solitaire.
Parallèlement, l’accroissement de l’offre de spectacles se
conjugue avec le rétrécissement des budgets, pour mettre à
mal le modèle officiel d’évaluation, de financement et de
diffusion des œuvres. Il faut inventer et produire autrement.
Des interprètes indépendants
Ainsi devient-il courant de voir des interprètes beaucoup plus
indépendants circuler dans les productions de divers chorégraphes.
Mais surtout, on remarque que des chorégraphes tels que Christian
Rizzo,
Julie Nioche, Rachid
Ouramdane, Boris
Charmatz, etc, se retrouvent volontiers interprètes de pièces
d’autres chorégraphes sans que cela signifie une perte de rang,
mais au contraire une variation de perspectives.
Une lecture attentive des fascicules de programmation trimestriels du Centre
Pompidou fait apparaître toute une gamme de nuances pour désigner
les attributions des uns et des autres. Le spectacle "… d’un
Faune" (éclats) du Quatuor
Knust a des danseurs, mais ne mentionne pas de chorégraphe.
Self-Unfinished se veut conçu, plutôt que chorégraphié,
par
Xavier
Le Roy. Common senses est conçu et dirigé
par Thomas
Hauert, mais improvisé par huit danseurs, dont lui-même.
<Otto> est présenté comme conçu par le collectif
Kinkaleri, et réalisé par ses six participants.
Jennifer
Lacey s’attribue la conception chorégraphique de This
is an Epic, tout en précisant qu’il s’agit d’
"une chorégraphie développée avec les performeurs"
dont la liste des noms suit. Ces précisions signifient à quel
point s’est atténuée la coupure dualiste entre chorégraphe
d’un côté, danseurs de l’autre. Ces notions se sont
complexifiées. Il faut y voir un enjeu politique quant à l’autorité
et à la propriété exercée sur les œuvres.
Des groupements artistiques à vocations multiples
Et plutôt qu’en qualité de directeurs de compagnies
sous leurs propres noms, plusieurs chorégraphes se présentent
volontiers comme initiateurs de groupements artistiques à vocations et
visages multiples:
Boris Charmatz avec l’association Edna,
Rachid Ouramdane avec l’association Fin novembre, etc. On
n’a plus vraiment affaire à des structures produisant efficacement
des pièces séduisantes, pour en exécuter la reproduction
sur des plateaux. Ces groupes se vivent plutôt comme des communautés
évolutives, rassemblées dans des espaces-temps privilégiés,
où s’expérimentent et se nourrissent de façon effective,
réelle, présente, les questions de la relation et de l’en-commun.
S’affranchir de l’obsession du produit fini
D’ailleurs, n’est-ce pas se faire une idée très
réductrice de la création que de ne prendre en compte que des
œuvres bien ficelées, une fois qu’elles sont prêtes
à être présentées au public? Là encore une
frontière s’abaisse: nombre d’artistes chorégraphiques
inventent des processus créatifs, et y associent le public, en s’affranchissant
de l’obsession de déboucher sur un produit fini.
Dans cet esprit, au Centre Pompidou,
Mark Tompkins envisage le laboratoire de performance in to
or out of, et on a déjà évoqué Hourvari
(laboratoire instantané) impulsé par
Emmanuelle Huynh.
Le projet Highway 101, de Meg
Stuart, se conçoit comme perpétuellement en cours
d’élaboration, chaque fois distinct en se déplaçant
de ville en ville, où il s’adapte à l’architecture
du lieu d’accueil et se nourrit de l’apport d’artistes invités
sur place. Quant à Catherine
Contour, elle propose aux spectateurs d’adopter plutôt
l’attitude de témoins intimes d’étapes chorégraphiques
circulant de chambre en chambre d’hôtel, et présentées
tels des scénarios d’un processus d’accumulation sur plusieurs
années.
Highway 101, projet de Meg Stuart.
Wiener Festwochen 2000. Photo Maria Ziegelböck © Chris Van der Burght
Chambre. Etapes chorégraphiques en chambres d’hôtel,
création de Catherine Contour. Dr
Des processus où la danse n’occupe plus une
position prééminente
Enfin il devient commun que des processus de recherche chorégraphique
mêlent des artistes d’horizons divers (vidéastes, architectes,
écrivains, photographe, etc) sans que la danse y occupe a priori une
position prééminente. Sur ce modèle, Rachid
Ouramdane a développé sur plusieurs années
le processus de Au bord des métaphores, en le désignant
comme "un projet amibe".
C’est
dans sa propre personne que la figure marquante et singulière de Christian
Rizzo inscrit une farouche indisciplinarité: sa biographie
précise que tout aussi bien il a monté un groupe de rock, créé
une marque de vêtements, suivi une formation d’arts plastiques,
avant qu’on le retrouve chorégraphe, ainsi que performeur-danseur
dans certaines pièces, si ce n’est créateur de leurs costumes,
ou de leurs musiques…
Aujourd’hui les artistes chorégraphiques ne sont plus exactement
ceux qu’on attend, dans la spécialité, au moment et à
l’endroit où on les attend.
Au bord des métaphores, création
Rachid Ouramdane.
© Fin Novembre
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