Danse
contemporaine - Pour une chorégraphie des regards
Un bouleversement des codes / 1
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4. Relever les défis d’aujourd’hui
Une ambition intellectuelle
On considère souvent la danse comme un art de l’émotion pure. Cette conception est largement périmée. La danse s’inscrit dans la circulation générale des idées, des productions de l’esprit et relève les défis de l’époque.
Un art d’avant le langage, bon pour le ravissement
On considère souvent que, parce que le corps est son médium,
et parce que celui-ci serait franchement séparé de l’esprit,
la danse habite le terrain de l’émotion pure et qu’elle ignore
l’activité intellectuelle consciente. Ce serait un art de la profondeur,
de la spontanéité, de l’ineffable. Un art d’avant
le langage. Quoique toujours très répandus, ces lieux communs
reposent sur une conception du rapport entre le corps et l’esprit, comme
entre le corps et son environnement totalement périmée, tant au
regard des avancées de la recherche scientifique (les
neurosciences) que de la pensée philosophique (la
phénoménologie).
On remarque par ailleurs les connotations de vulgarité (tout le monde
danse) et de frivolité suspecte (un art de femme et de pédés),
qui peuvent contribuer à y voir un art mineur et décoratif, surtout
voué au ravissement et au divertissement, en tout cas peu propice à
l’exercice de la pensée.
Un art de la confrontation et du croisement
Aujourd’hui tout au contraire, on relève par exemple que
la chorégraphe Emmanuelle
Huynh mentionne volontiers ses filiations spirituelles et ses diplômes
en études de philosophie, engageant ses projets comme des ateliers de
réflexion autant que de pratique. Au Centre Pompidou, pendant deux semaines,
son laboratoire instantané Hourvari ménageait une large
place à la confrontation intellectuelle. De son côté
Mathilde Monnier conçoit sa pièce Allitérations
comme un croisement de sa propre écriture chorégraphique et de
l’écriture du philosophe Jean-Luc Nancy. Lequel
l’accompagne sur scène pour lire son texte Séparation
de la danse.
Sur les questions d’écriture chorégraphique, on peut reconnaître
aux travaux de
Myriam Gourfink, accompagnée d’ingénieurs
en informatique, une ambition proprement scientifique.
Boris Charmatz s’est distingué, lui, par l’acuité
de sa réflexion sur les enjeux actuels de l’art chorégraphique,
consignée dans l’ouvrage Entretenir co-rédigé
avec l’historienne de la danse Isabelle Launay.
Au cœur d’une indispensable mobilisation intellectuelle
Le travail d’Alain
Buffard voit l’implication directe de Laurence Louppe
(théoricienne de la danse) et Sabine Prokhoris (psychanalyste).
Dans des revues telles qu’Art Press ou Mouvement, ce
même Alain Buffard participe au côté de Jérôme
Bel, et de Xavier Le Roy à
l’élaboration croisée d’une pensée critique
qui entend s’affranchir des positions d’autorité extérieures
(journalistiques notamment).
Il n’est pas nécessaire d’être agrégé
de philosophie ou d’histoire de l’art pour apprécier la programmation
de danse du Centre Pompidou. Ces pièces n’exposent pas des thèses
savantes. Mais il vaut mieux accepter l’idée qu’elles s’inscrivent
dorénavant dans la circulation générale des productions
de l’esprit, que sciemment elles s’en imprègnent et contribuent
à la nourrir. L’intelligence sensible de la pensée du corps
et de l’espace tient son rang au cœur d’une période
dont les défis appellent une mobilisation intellectuelle intense et excitante.
Même si on n’y comprend pas forcément tout, en général
on n’en sort pas plus bête.
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