LE FUTURISME À PARIS
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1- Le cubisme

La première salle de l’exposition est consacrée au cubisme, et en particulier à ce cubisme que les peintres futuristes italiens vont découvrir lors de leur séjour à Paris en septembre-octobre 1911. Elle met en relief la spécificité de l’iconographie cubiste : nus, natures mortes, paysages, à laquelle les futuristes opposeront bientôt l’image de la métropole moderne, de l’automobile, du mouvement, de l’énergie.

Sont rassemblés les « Nus » de Picasso et de Braque qui ont donné naissance au mouvement, les tableaux exposés au Salon d’Automne de 1911 (les Nus dans la forêt, 1909-1911, de Fernand Léger, Le Goûter, 1911, de Jean Metzinger, La Tour Eiffel, 1911, de Robert Delaunay...) et une œuvre de 1912 : La Cathédrale de Chartres d’Albert Gleizes, focalisant ces premiers rapports de rejet entre futurisme et cubisme.

> En 1909, les « petits cubes » de Braque ne font pas le « cubisme »

> Braque et Picasso : la naissance du cubisme

> Le cubisme de 1910-1911

> 1912 : la cathédrale, un thème polémique

 

En 1909, les « petits cubes » de Braque ne font pas le « cubisme » retour sommaire

Les Demoiselles d’Avignon sont peintes en 1907 mais ne sont visibles que dans l’atelier de l’artiste. Le terme « cubisme » est inventé en 1908 à propos d’œuvres de Braque mais celles-ci sont refusées dans les salons. A partir de 1909, Braque et Picasso n’exposent plus que chez leur marchand, Daniel-Henry Kahnweiler. Le Manifeste du futurisme est publié en 1909. Il est donc postérieur au cubisme, et pourtant !

« En 1909, les « petits cubes » de Braque ne faisaient pas encore le « cubisme ». Il fallut attendre encore […] avant que le terme ne désigne une école, avant que ne lui soit associée une première définition théorique. Si elles ne créaient pas le cubisme, les toiles de Braque marquaient toutefois un tournant stylistique majeur dans l’évolution de la peinture parisienne. » (Didier Ottinger, catalogue de l’exposition, « Cubisme + Futurisme = Cubofuturisme ».)

Dès l’entrée de l’exposition, le visiteur voit apparaître devant lui une enseigne au néon annonçant l’exposition des futuristes à Paris en 1912, puis tourne à gauche, repli ou détour ?, et pénètre dans une première salle où sont accrochés 5 Braque, 4 Picasso, 3 Gleizes, 2 Metzinger, 1 Delaunay, 1 Léger.

 

Braque et Picasso : LA NAissance du cubisme retour sommaire

Georges Braque

Georges Braque, Le Viaduc à L'Estaque, [juin-juillet] 1908, Paris
Huile sur toile, 72,5 x 59 cm
Centre Pompidou, Mnam

En 1907, Braque visite la rétrospective Cézanne au Salon d’Automne. Son admiration pour les œuvres du peintre le conduit à l’Estaque, où Cézanne avait peint lui-même. De ce séjour il ramène une série de tableaux qu’il présente au jury du Salon d’Automne de 1908. Le jury d’admission se compose d’artistes qui ont en commun d’être les inventeurs du fauvisme. Matisse en est le président, il est accompagné de Marquet et Rouault. Les tableaux de Braque remettent en cause son esthétique de la couleur et de la fusion avec la nature, qui fait de lui, à Paris, le leader de la peinture contemporaine. Là, que voit-il ? Une palette d’une gamme chromatique limitée et un système constructif basé sur la décomposition de la nature selon la vision de Cézanne en petits cubes, en petits cônes, en petites sphères. Un critique (Charles Morice) colporte les mots de Matisse et parle des petits cubes de Braque.
Les tableaux refusés sont exposés en novembre à la galerie Kahnweiler, c’est la première exposition de Braque, préfacée par Apollinaire. Le mot « cubisme » reprend du service avec d’autres critiques, dont Louis Vauxcelles.

Le motif du viaduc à l’Estaque inspire à Braque trois tableaux qui témoignent du passage dans son œuvre du fauvisme au cubisme : recherche de simplification de la forme, déconstruction de la perspective, harmonie chromatique d’ocres et de verts, traitement de la couleur en hachure et cerne noir des plans.
Dans cette version, peinte de mémoire dans son atelier parisien, au contraire des deux autres, Braque simplifie les courbes au profit de la géométrisation des formes, tout en combinant une vue frontale et une vue oblique, ce qui rend palpables les volumes et permet, dit le peintre, de « rapprocher l’objet du spectateur en lui gardant sa beauté, sa saveur concrète ».

Georges Braque, Grand Nu, 1907-1908
Huile sur toile, 140x100 cm
Centre Pompidou, Mnam

Exposé au Salon des Indépendants en mars 1908, repris et achevé lors de son séjour à l’Estaque en 1908, puis refusé au Salon d’Automne de 1908 comme le Viaduc à l’Estaque, cette œuvre renvoie tout à la fois à la découverte des Demoiselles d’Avignon, à la peinture de Cézanne (par ses touches parallèles, son dessin angulaire, sa palette de bleus et de bruns), au Nu bleu (Souvenir de Bistra) de Matisse (1907). Ici, Braque explore le motif du nu féminin comme il l’a fait du paysage, pour renouveler la peinture. Bientôt on entendra les futuristes exiger la suppression totale du Nu.

Le Nu appartient aux grands thèmes de la peinture classique, mais ici, chez Braque, il n’a rien de canonique. Dans la représentation du corps, pas une once de sentimentalité. Massif et monumental, le corps, prenant appui sur la jambe droite, développe un mouvement de rotation dans le plan du tableau. En opposition, le visage, inspiré des masques fang, semble figé et plat. Des cernes noirs en simplifient les traits ainsi que les lignes du corps, comme dans les Demoiselles d’Avignon. Statisme et mouvement cherchent leur équilibre dans le plan du tableau.

> Voir Pablo Picasso, les Demoiselles d’Avignon, 1907, sur le site du Museum of Modern Art (MoMA), New York lien

Picasso

Pablo Picasso, La Dryade, 1908
Huile sur toile, 185x108 cm
Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

Autre tableau qui témoigne de la naissance du cubisme, cette Dryade, ou Nu dans la forêt, commencée au printemps 1908. Début des relations entre Picasso et Braque. Moment où les deux peintres conçoivent toutes les composantes de la peinture comme des ouvertures à une nouvelle liberté. Après une première version, Picasso, qui découvre les toiles de Braque, reprend son nu.

Même réflexion sur le mouvement et le plan : la figure oscille entre une posture debout et une position assise. Le corps, massif, s’avance au centre du tableau, entouré d’arbres, des plans abstraits structurés par des lignes épaisses, qui équilibrent la composition. Ici, pour la première fois, Picasso utilise le paysage autour d’une figure féminine. Cette œuvre fait également songer aux Baigneuses de Cézanne : par son thème, un nu − une Dryade, figure mythologique grecque, protectrice des forêts et des bois −, la recherche d’une présence suggérée par un corps en déséquilibre et la structure pyramidale des branches située dans la partie haute de la toile.

Chez Picasso, la leçon de la sculpture nègre ne s’est pas limitée au visage. Il lui emprunte aussi la posture de sa dryade, à la fois debout et assise, les formes des extrémités des membres, la nature de sa présence qui est de l’ordre d’une apparition.

> Voir le site de la rétrospective Cézanne en Provence, 2006, Musée Granet, Aix-en-Provence, thème « Baigneurs et baigneuses ». lien

 

le cubisme de 1910-1911retour sommaire

En 1911, les cubistes commencent à exposer en groupe au Salon des Indépendants et au Salon d’Automne, d’où le nom qui leur sera donné : les cubistes de Salons. Picasso et Braque montrent, quant à eux, leurs tableaux chez leur marchand Daniel-Henry Kahnweiler − en 1910, ils sont entrés dans leur période dite « analytique », basée sur la fragmentation et le travail de la lumière, au profit d’un espace homogène et propre à la peinture.

Les œuvres, présentées dans cette première salle, sont parmi celles que découvrent les futuristes lors de leur séjour en septembre-octobre à Paris.

Voir quelques œuvres de 1910-1911 exposées dans la salle « cubisme » :

● Sur le site du Philadelphia Museum of Art, Philadelphie
> Jean Metzinger, Le Goûter, 1911 (Femme à la cuillère) lien

Sur le site du Kröller-Müller Museum, Otterlo
> Fernand Léger, Nus dans la forêt, 1909-1911 lien

Sur le site du Centre Pompidou
> Pablo Picasso, Femme assise dans un fauteuil, 1910 lien
> Albert Gleizes, Étude pour « La Chasse », 1911 lien
> Consulter le dossier pédagogique sur le Cubisme lien

Sur le site de la Tate Modern, Londres
> Albert Gleizes, Portrait de Jacques Nayral, 1911 lien

 

1912 : La cathÉdrale, un thÈme polÉmique retour sommaire

Albert Gleizes, la Cathédrale de Chartres, 1912
Huile sur toile, 73,6 x 60,3 cm
Sprengel Museum Hannover, Hanovre

La Cathédrale de Gleizes, datée de 1912, dernière œuvre présentée dans cette salle, symbolise ce qui oppose cubistes et futuristes. Que s’est-il passé entre les deux avant-gardes ?

En février 1909 le Manifeste du futurisme a été publié, suivi un an plus tard du Manifeste des Peintres futuristes, proclamant la table rase du passé. Ces peintres ont valorisé leur esthétique par une mise en cause systématique des valeurs des cubistes. Leurs sujets − nus, natures mortes, paysages, portraits −, leurs compositions statiques, la monochromie de leur palette − une palette qui est celle du 17e siècle, au mieux peut-être celle de Chardin − sont, pour les futuristes, l’expression d’un art qui refuse la modernité.

La naissance publique du cubisme : le Salon des Indépendants, avril 1911

A l’automne 1910, jusque-là sans stratégie de groupe ni écrits théoriques, les jeunes cubistes avec quelques amis poètes et critiques (Guillaume Apollinaire, André Salmon, Roger Allard…) ont décidé de faire front.

Avril 1911, ils organisent une première exposition collective au Salon des Indépendants (la salle 41), puis une seconde à Bruxelles en juin, une troisième au Salon d’Automne (la salle 8) en octobre. Apollinaire les soutient, alors, sans réserve : ils forment bien une « école », écrit-il, « Le cubisme est ce qu’il y a de plus élevé aujourd’hui dans l’art français » (Salon d’Automne, octobre 1911,Chroniques d’art, Gallimard, Folio, Essais, pp. 254-255).

Entre temps, ils ont, à l’enseigne des futuristes, commencé à formuler leurs principes, rattachant le cubisme à la tradition classique. Ils ont néanmoins dû renoncer à une part de leur héritage plastique et à certains repères théoriques, car déjà revendiqués par les futuristes : le divisionnisme de Seurat et Signac et la philosophie d’Henri Bergson régulièrement citée par Gleizes et Metzinger dans leurs premiers textes, où ils puisaient un fondement à leurs intuitions d’artistes.
Dans « Cubisme et tradition » (Paris-Journal, 16 août 1911), Jean Metzinger, qui veut donner un gage de son nationalisme, et malgré l’interdiction d’Apollinaire de faire référence à toute « métaphysique », définit le cubisme par une formule toute bergsonienne :

 Le tableau possédait l’espace, voilà qu’il règne dans la durée. 

Apollinaire venait d’annoncer la naissance d’un style moderne, d’un « art neuf » influencé par Picasso. D’autres critiques témoignent, eux aussi, de leur perplexité.

Voir dans le chapitre : Le Manifeste du futurisme / L’influence de Bergson, une philosophie du devenir, et le texte de François Azouvi : Bergson, le philosophe des avant-gardes.

Apollinaire et le « cubisme gothique »

Car les futuristes ne sont pas leurs seuls détracteurs. La presse conservatrice les qualifie de « fumistes » et de « farceurs ». A la Chambre des députés, on demandera à mettre en garde la nation contre le péril cubiste et ses artistes suspectés d’antinationalisme. Remobilisé par cette campagne de « haine », Apollinaire invente en réponse un « cubisme gothique ». « L’art d’aujourd’hui, écrit-il dans sa revue les Soirées de Paris, se rattache à l’art gothique à travers tout ce que les écoles intermédiaires ont eu de véritablement français, de Poussin à Ingres, de Delacroix à Manet, de Cézanne à Seurat, de Renoir au Douanier Rousseau […] » (4 mai 1912, les Soirées de Paris, pp.114-115). Braque et Picasso restent à l’écart de ces agitations.

La cathédrale de Gleizes, exposée au Salon des Indépendants en mars 1912, est l’icône de ce « cubisme gothique ». Son sujet – une cathédrale −, ses camaïeux de gris et de verts, sa composition monumentale où s’interpénètrent les plans géométriques s’opposent à la table rase futuriste. Gleizes refuse de faire du sujet la condition de la modernité. En 1912, on voit apparaître dans les Salons une multiplication de tableaux avec des cathédrales gothiques... Delaunay a posé son chevalet face aux tours de Laon.


Le nu en peinture. Un vieil héritage romantique
1’8’’

 


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