LE FUTURISME À PARIS
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Le vorticisme
Le vorticisme anglais, autre synthèse cubofuturiste, est fondé en 1914 par l’écrivain et peintre Wyndham P. Lewis, le poète Ezra Pound et le philosophe T.E. Hulme. De par son existence éphémère, cessant ses activités un an après le début de la Première Guerre mondiale, le vorticisme reste peu connu en France.
Dans cette salle sont exposées des peintures de David Bomberg (The Mud Bath, 1914), Wyndham P. Lewis (The Crowd, [1915]), Christopher R.W. Nevinson (The Arrival, vers 1913), des sculptures de Jacob Epstein (Torso in Metal from « the Rock-Dril l», 1913-1914) et Henri Gaudier-Brzeska (Red Stone Dancer, vers 1913).
> Le contexte, un imbroglio entre cubisme et futurisme
> David Bomberg, l’indépendant
> Wyndham Lewis, le chef de file du vorticisme
Le contexte, un imbroglio entre cubisme et futurisme
Le Manifeste du futurisme est lancé en 1909 à Londres. Marinetti, qui aime la métropole londonienne pour son cosmopolitisme et sa « mystérieuse énergie » y vient régulièrement pour des conférences et des lectures de ses œuvres. Avec son sens inné de la provocation, il aime aussi à s’introduire dans ce qui fait l’actualité explosive de la société anglaise. Ainsi son Discours futuriste aux Anglais, en avril 1910, au cours duquel il stigmatise l’hypocrisie des anglo-saxons vis-à-vis de l’homosexualité (avec, en toile de fond, le procès et la mort d’Oscar Wilde). Ou encore sa conférence sur le féminisme (Le Futurisme et la femme, décembre 1910) qui, toutefois, ne séduira pas les suffragettes.
Le peintre et écrivain Wyndham P. Lewis, le futur chef de file du vorticisme, a été en contact à Paris
avec les idées et les œuvres des cubistes et des futuristes. Il a suivi les
cours de Bergson au Collège de France et approché les idées anarchistes. Ce
parcours intellectuel est également celui du philosophe T. E. Hulme, futur théoricien du mouvement.
L’exposition des peintres futuristes, présentée en
mars 1912 à la Sackville Gallery, connaît à Londres, comme à Paris, un succès
de scandale. Les Italiens n’ont pas pour objectif de détrôner, comme à Paris,
un mouvement d’avant-garde mais de s’imposer comme les seuls modernes.
Parallèlement aux Manifestes, conférences, expositions du groupe ou expositions personnelles − de Boccioni ou de Severini par exemple, qui joue là aussi un rôle de lien entre les artistes −, le cubisme s’affiche sur les cimaises des galeries londoniennes. Le critique Roger Fry organise fin 1910 une première exposition sur le thème de la postérité du postimpressionnisme français, puis un second volet en octobre 1912 où, à côté de Braque et de Picasso, Wyndham Lewis expose des lavis proches de certaines œuvres de Léger et des Etats d’âme de Boccioni.
Est « futuriste » tout ce qui sort de l’ordinaire
La presse s’amuse avec délice de l’art futuriste, n’y voyant que folie et hystérie. Comme en Russie, tout ce qui sort de l’ordinaire est qualifié de « futuriste ». Acception du mot que reprend le critique Frank Rutter en organisant une exposition (octobre 1913-janvier 1914) regroupant des artistes de différentes tendances : « Post-Impressionism and Futurism », et à laquelle participe le peintre Christopher Nevinson (futur co-fondateur du vorticisme).
Refusant cette « futurisation » de l’avant-garde anglaise, Wyndham Lewis crée le Rebel Art – pour affirmer son indépendance tout en promouvant une esthétique cubiste. Il entraîne dans son aventure Edward Wadsworth, Frederik Etchells et Cuthbert Hamilton qui se regrouperont plus tard sous la bannière vorticiste.
F.T. Marinetti et Christopher R.W. Nevinson, Contre l’art anglais. Manifeste futuriste
(Londres, 11 juin 1914) diffusé en anglais sous le titre Vital English Art.
© Centre Pompidou – Bibliothèque Kandinsky
En attendant, Nevinson s’affiche comme le premier disciple de Marinetti au cours d’une série de conférences données à l’occasion d’une nouvelle exposition de peintures et de sculptures futuristes (aux Doré Galleries). Il publie avec lui Vital English Art. Futurist Manifesto, le 7 juin 1914, dans lequel ils enrôlent sans leur concertation les jeunes artistes du Rebel Art. C’est dans ce contexte qu’est annoncée la naissance du vorticisme. Quand bien même Marinetti aurait voulu enrôler la jeune peinture anglaise dans le mouvement futuriste, les peintres italiens n’étaient pas prêts à l'accueillir, se plaignant d’avoir dû déjà compter dans leur rang Félix Del Marle ! (Voir chapitre Félix Del Marle.)
« La paix dans ce qu’elle a de vertigineux »
Manifeste du vorticisme paru dans le premier numéro de Blast (Londres),
2 juillet 1914 (daté du 20 juin)
© Centre Pompidou – Bibliothèque Kandinsky
Le 20 juin est publié le premier numéro de Blast (Explosion). Ezra Pound y a adjoint en sous titre le terme de « vortex » : Review of the Great English Vortex (terme utilisé déjà par les futuristes pour exprimer l’énergie de la ville. D’où le nom du groupe : vorticisme).
Les textes de ce premier numéro définissent le programme du mouvement. Pour le poète Ezra Pound, la peinture doit rejeter les « faits, idées, vérités » et ne relever que d’elle-même. Quant à Lewis, il cite Baudelaire et sa haine du « mouvement qui déplace les lignes », affirmant : « Vive le grand vortex artistique qui surgit au centre de cette ville ! Nous représentons la réalité du présent, pas le futur sentimental ni le passé honni. » Puis : « L’Automobilisme (Marinettisme) nous barbe. Nous n’avons pas envie de faire tant de cas des automobiles, pas plus que des couteaux ou des fourchettes, des éléphants ou des tuyaux à gaz ».
Couverture de la revue Blast (Londres), n°2, juillet 1915
© Centre Pompidou – Bibliothèque Kandinsky
Un an plus tard − Gaudier-Brzeska et Hulme sont morts à la guerre −, Wyndham Lewis écrit : « Il a toujours été évident que, en tant qu’artistes, deux ou trois peintres futuristes ont joué un rôle plus important que leur poète-impresario. Balla et Severini ont été, en tout état de cause, deux des peintres les plus amusants de notre époque. Et leur thème de prédilection n’était pas la guerre des militaires, comme ce l’était pour Marinetti, mais bien la paix dans ce qu’elle a d’intense et de vertigineux » (Blast n°2).
David Bomberg, The Mud Bath, 1914
[Le Bain de boue]
Huile sur toile, 152,4 x 224,2 cm
Tate, Londres
David Bomberg a été l’un des « enrôlés » sans consentement par C. Nevinson dans le Manifeste de l’art anglais. Néanmoins s’il veut se démarquer du futurisme, il est tout autant soucieux de ne pas apparaître sous la bannière vorticiste. En juillet 1914, sa première exposition personnelle (à la Chenil Gallery de Chelsea) réunit cinquante-cinq toiles, dont Le Bain de boue. Le point de départ en est un bain de vapeur, et le peintre se veut indépendant des courants qui l’entourent.
Pourtant, l’œuvre ramène à l’esprit, comme en simultané, le souvenir de toiles parmi les plus impressionnantes de cette période. La simplicité géométrique et le dynamisme des formes qui semblent écarter les bords de la toile, la netteté de la palette ne sont pas sans rappeler la Révolte de Luigi Russolo. Le dialogue entre le grand plan rouge en fond, sorte de plate-forme immobile, et les figures filiformes et virevoltantes du premier plan fait songer aux contrastes, moteurs de la réalité picturale, de Fernand Léger. Comment rester insensible à ce pilier central qui donne toute sa force à la composition ?
Le titre de l’œuvre, Le Bain de boue, ne fait-il pas allusion au prologue du Manifeste du futurisme où Marinetti relate son accident d’auto, le plongeant dans un fossé d’eau vaseuse, d’où il ressort pour dicter sa volonté « à tous hommes vivants de la terre » ?
Wyndham Lewis, le chef de file du vorticisme
Wyndham
Percy Lewis, The Crowd, [1915 ?] [La Foule]
Huile et crayon sur toile, 200,7 x 153,7 cm
Tate, Londres
Une simultanéité d’espaces qui s’imbriquent les uns dans les autres. En vain, on cherche la foule, titre du tableau. A droite, l’élévation d’un gratte-ciel aux formes géométriques. Répartis dans l’ensemble de la toile, en plus grand nombre dans la fenêtre centrale, des tracés évoquent les plans masses d’habitations, vestiges d’une ville disparue ? La ville est vue de face et de haut comme dans la Révolte de Russolo, et l’on aurait pu dire dans la durée si Lewis ne s’affirmait adepte que de la seule réalité présente.
En bas et à gauche, dans l’espace où s’esquisse une perspective, des figurines schématisées sont les seules indications de vie, au-dessus desquelles est écrit ENCLO – qui pourrait être une référence à la Closerie des Lilas. Au drapeau bleu-blanc-rouge répondent, dans le deuxième plan, deux bannières rouges. Conservatisme contre socialisme ? Ou les pôles opposés entre lesquels se développe l’énergie de la cité ? Perçant ce labyrinthe de murs et de lieux aux couleurs sanguines, des trouées blanches bien délimitées offrent une respiration.
Lewis donne à voir sa vision de la ville. Dans un texte publié dans le second numéro de Blast, il la décrit comme le lieu « des masses » et de l’anéantissement des individualités. « Laboratoire de la mort » pour lequel « la foule est la matière de son expérience » (cf. Colin Lemoine, catalogue de l’exposition), la ville en fixe aussi le désordre. Dans cette œuvre rien ne déplace les lignes, et surtout pas l’énergie désordonnée de « l’automobilisme ». Wyndham Lewis y met en application son programme :
Par Vorticisme, nous entendons (a) L’ACTIVITÉ en opposition à la PASSIVITÉ de bon goût de Picasso ; (b) la SIGNIFICATION en opposition au caractère ennuyeux ou anecdotique auquel le naturaliste est condamné ; (c) MOUVEMENT ESSENTIEL et ACTIVITÉ (telle l’énergie d’un esprit) en opposition à la technique cinématographique imitative, l’hystérie et les complexifications à outrance des futuristes.
(Blast, n°2.)
Voir d’autres œuvres présentées dans la salle « le vorticisme »
● Sur le site de la Tate, Londres
> Christopher Richard Wynne Nevinson, The Arrival, vers 1913 [L’Arrivée]
> Christopher Richard Wynne Nevinson, Bursting Shell, 1915 [Explosion d’obus]
> Jacob Epstein, Torso in Metal from “The Rock Drill”, 1913-1914 [Torse en métal pour « La perforatrice »]● Sur le site du Centre Pompidou
> Gaudier-Brzeska, Portrait d’Ezra Pound, [1913]
> Gaudier-Brzeska, Mitrailleuse en action, [1915]
LE FUTURISME À PARIS
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