LE FUTURISME À PARIS
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HYbridations : dialogue entre cubisme et futurisme
A la phase de l’affrontement succède celle de l’hybridation entre
valeurs futuristes et cubistes. Les « cubistes de Salons » (Robert
Delaunay, Fernand Léger, Albert Gleizes, Jean Metzinger, Jacques Villon…)
adoptent une palette plus claire et colorée. Ils puisent leurs sujets dans les
spectacles populaires du sport ou de la danse.
Les peintres futuristes adoptent une palette plus sourde et composent
des sujets qui, jusque-là, semblaient être du ressort des peintres cubistes
(Umberto Boccioni, Gino Severini, Ardengo Soffici).
> Futurisme et
cubisme
Salon des Indépendants &
Salon d’Automne 1912
Robert Delaunay / Fernand Léger
> Albert
Gleizes / Jean Metzinger
Du Cubisme,
1912, un contre « manifeste »
> Cubisme
et futurisme
Umberto
Boccioni / Gino Severini / Giacomo Balla
Futurisme et cubisme / SALON
des indÉpendants
& salon d’automne 1912
Robert delaunay / fernand lÉger
La Ville de Paris de Delaunay et La Noce de Léger,
présentées au Salon des Indépendants en mars 1912, sont un moment fort dans
l’évolution du travail des deux peintres. Délaissant le cubisme analytique, ils
ont découvert une voie nouvelle, nourrie notamment des influences futuristes.
Étudiées dans ce contexte des rapports entre futurisme et cubisme, ces
œuvres révèlent la gamme de leurs intentions : humour, recherche de
nouveauté, intégration d’influences, démonstration qui devient évidence
créatrice.
Robert Delaunay
Robert Delaunay, La Ville de Paris, 1910-1912
Huile sur toile, 267 x 406 cm
Centre Pompidou, Mnam
Apollinaire écrit dans ses Chroniques sur le Salon des Indépendants : « Cette œuvre intitulée la Ville de Paris est due à un jeune peintre qui nous avait montré jusqu’ici des œuvres intéressantes certes, mais inachevées […] La Ville de Paris est un tableau en quoi se concentre tout l’effort de la peinture depuis peut-être les grands Italiens. » (Le Petit Bleu, 20 mars 1912, Chroniques d’art, pp.297-298). Dans le catalogue du Salon des Indépendants de Bruxelles, en juin 1911, il avait appelé de ses vœux le retour au « vaste sujet ». Ce tableau y répond par une toile au grand format « classique » – les toiles cubistes étant, à l’exception des Demoiselles d’Avignon, des petits formats –, dans laquelle le peintre résume les étapes de son passage par le cubisme analytique.
Si les trois Grâces placées au centre de la composition sont des nus, et de plus des nus inspirés par une fresque pompéienne – réplique aux futuristes et à leur haine du nu et de l’archéologie – le peintre ne s’oppose pas ici clairement à eux, pensant même, comme il l’écrit à son ami Sam Halpert (février 1912) :
Ce qu’ils disent est bien.
Comme Boccioni pour son triptyque des Etats d’âme, il divise sa composition en trois parties. La partie de gauche – où le peintre reprend en citation ses toiles sur la ville –, est dominée par un ordonnancement orthogonal que stabilise l’horizontale du pont – pont devant lequel flotte un petit drapeau bleu-blanc-rouge, un hommage au Douanier Rousseau. Au centre, les trois Grâces imposent leur verticalité, cette fameuse stabilité cubiste. Mais cette verticalité éclate, à droite, sous l’effet des découpes anguleuses de la tour, à la manière de la compénétration des plans futuristes – l’autocitation de la tour Eiffel rappelant qu’il fut le premier à s’occuper de sujet moderne.
Comme l’écrit Marie-Laure Bernadac : « le déroulé accéléré qui s’opère à mesure que l’œil parcourt la toile, selon un procédé « cinématographique », évoque les solutions explorées par les futuristes. […] la synthèse d’images mentales qui évoquent le passé, le présent et le futur de la ville renvoie indubitablement à la tentative d’Umberto Boccioni : traduire une ‘‘simultanéité d’ambiance’’ dans ses Etats d’âme » (catalogue de l’exposition).
Il faut voir encore dans la Ville de Paris les prémices d’une nouvelle manière qui va bientôt conduire Delaunay à la « peinture pure ». Les « brisures » des lignes cubistes ont disparu au profit de la déconstruction/reconstruction de la forme par la couleur. Les trois parties de la composition sont unifiées par des plans colorés transparents. Delaunay appelle cette méthode le « réalisme nouveau » de la composition par la lumière et la couleur. Il écrit à propos de la Ville : « transition vers la couleur constructive, état entre le destructif et le constructif ».
FERrnand LÉger
Fernand Léger, La Noce, 1911-1912
Huile sur toile, 257 x 206 cm
Centre Pompidou, Mnam
Par son sujet – la noce, qui s’apparente à ces
lieux animés chers aux futuristes –, par le dynamisme de sa
composition – des axes zigzagant d’où rayonne une série d’angles
aigus – et l’apparition de la couleur, l’œuvre laisse à penser que pour
Léger, aussi, « ce que disent les futuristes est bien ».
Associant des éléments figuratifs et abstraits, la question
du sujet est ici traitée de façon originale. Indiquant lui-même qu’il s’est
« attaché à rendre sa toile non sentimentale (à l’opposé du thème
choisi) », Léger, ici, évince le sujet – qui n’en est pas moins
présent – ,
au point qu’Apollinaire écrit : « Le tableau de Léger ressortit à la
peinture pure. Aucun sujet, beaucoup de talent. » (Le Petit Bleu, 20 mars
1912, Chroniques d’art, p.299.)
Les éléments figuratifs sont nombreux : des
maisons autour d’un clocher, les deux mariés et leurs invités resserrés au
centre de la composition, sensation d’une foule qui se bouscule d’où ressortent
quelques bras « tubistes » et des mains qui se congratulent. À droite
du tableau, une rangée d’arbres rappelle le passage obligé par lequel les
invités sont arrivés à la noce. En somme l’illustration d’une atmosphère, d’une
simultanéité et d’une durée, notions chères aux futuristes.
Les éléments abstraits, d’imposantes formes
géométriques blanches et ocres – tons de la palette cubiste et
formes nuageuses des futuristes – contrastent – les fameux
contrastes par lesquels Léger réalisera son « réalisme pictural »
– avec les surfaces émiettées et les lignes brisées de la foule et du
paysage.
Ce maillage dynamique semble faire écho au texte introductif
du catalogue de l’exposition futuriste qui en appelle aux « […] lignes
horizontales, fuyantes, rapides et saccadées qui tranchent brutalement des
visages aux profils noyés et des lambeaux de campagne émiettés et rebondissant ».
> Voir dans le dossier pédagogique sur le Cubisme, la Couseuse, 1909-10, de Fernand Léger, œuvre de sa période analytique.
> Voir également le dossier monographique Fernand Léger.
Albert gleizes /
jean metzinger
Du Cubisme,
1912, un contre « manifeste »
Jean Metzinger, Étude pour « Le Cycliste », 1911
(Recto d’un dessin sans titre)
Crayon et fusain sur papier beige, 38 x 26 cm
Centre Pompidou, Mnam
Albert Gleizes et Jean Metzinger se mettent eux aussi à l’unisson de l’évolution cubiste, bien que de façon plus tempérée. Palettes plus claires, sujets « modernes » (le sport ou la danse). Jean Metzinger peint par exemple le Cycliste ou Danseuse au café, Gleizes les Joueurs de football, 1912-1913, lesquels ressemblent, néanmoins, à de curieux chevaliers revêtus d’armures.
Du Cubisme, octobre 1912
Commencé fin 1911, Du Cubisme devait contribuer, avec les expositions du groupe, à donner son identité publique au mouvement. Ce premier ouvrage théorique est publié un an plus tard.
Couverture
de l’ouvrage de A. Gleizes et J. Metzinger, Du Cubisme, Paris, Édition Eugène Figuière, 1912
© Centre Pompidou, Paris, Bibliothèque Kandinsky
Le réalisme comme fondement du cubisme. Pour se démarquer des futuristes et s’éloigner de toute métaphysique − la philosophie de Bergson −, Gleizes et Metzinger ont ancré le cubisme dans le réalisme, celui qui commence avec Courbet et va jusqu’à Cézanne en passant par les impressionnistes. Un réalisme à deux vitesses car l’héritage impressionniste est revendiqué par les futuristes. Ainsi, faut-il distinguer entre « réalisme superficiel » (Courbet et les formes dissolues des impressionnistes) et « réalisme profond » (celui de Cézanne, avec ses reconstructions géométriques et rigoureuses du motif).
Le sujet : un prétexte. « La beauté d’une œuvre réside expressément dans l’œuvre et non dans ce qui n’en est que le prétexte. » Ce rapport au sujet est, selon eux, ce qui différencie en profondeur le cubisme du futurisme. Pour s’opposer aux futuristes, c’est Manet, un « précurseur » de l’art moderne, qu’ils invoquent, lui qui « a diminué la valeur de l’anecdote jusqu’à peindre n’importe quoi » (p.39).
Le « gris trouble » du postimpressionnisme. Un chapitre entier est consacré à l’« art de la couleur » des postimpressionnistes. Ils y reconnaissent « une expérience hardie et nécessaire », mais fondée sur une contradiction : « Hors du prisme, qu’il s’agisse de mélange optique ou de mélange sur la palette, la somme des complémentaires donne un gris trouble, et non un blanc lumineux. La contradiction nous arrête. » Un trouble dépassé par les cubistes, expliquent-ils, avec leur façon d’imaginer la lumière : « Selon eux, éclairer c’est révéler ; colorer c’est spécifier le mode de révélation. Ils appellent lumineux ce qui frappe l’esprit » (pp.55-57).
Cubisme et géométries non
euclidiennes : la 4e dimension. S’interdisant de bergsonisme,
c’est du côté des dernières avancées des mathématiques qu’ils recherchent des
bases, telles qu’elles sont alors diffusées dans l’ouvrage d’Henri Poincaré, La
Science et l’hypothèse (1902) : « Si l’on désirait rattacher
l’espace des peintres à quelque géométrie, il faudrait en référer aux savants
non euclidiens […] » (p.49).
Les cubistes ont remis en cause la représentation et la
perspective pour dépasser l’illusion de la perception sensorielle,
l’apparence extérieure du motif. En montrant un objet sous ses différents
aspects, réels ou pensés, leurs références déclarées sont désormais les espaces
pluridimensionnels et les géométries non euclidiennes. 4e dimension qui avait
été, un temps, « bergsonienne », interprétée comme l’introduction de
la durée dans l’espace du tableau (Jean Metzinger, voir chapitre : Le
cubisme / La cathédrale, un thème polémique.)
La question du dynamisme : une nouvelle actualitÉ
A. Gleizes, « Le Cubisme et la Tradition », Montjoie ! (Paris) n°1, 10 février 1913, p.4
© Centre Pompidou - Bibliothèque Kandinsky
Plus royaliste que le roi, Gleizes publiera quelques mois
plus tard (février 1913), « Le Cubisme et la Tradition », dans
une nouvelle revue intitulée Montjoie ! − titre emprunté au cri de guerre des chevaliers capétiens
venus se saisir de l’étendard de saint Louis, dans la cathédrale de
Saint-Denis… Voilà d’où viennent les chevaliers qui ont donné leurs
traits à ses Joueurs de football !
Il reconfectionne une généalogie de l’art français, de
François Clouet à Cézanne, en passant par Philippe de Champaigne, les Frères Le
Nain, Chardin… , « des artistes qui ont presque tous en commun d’avoir
réagi à l’influence italienne » (Didier Ottinger).
Cubistes et futuristes se focalisent pour l’heure sur un
nouveau thème de discorde : la paternité de la notion de dynamisme. Gleizes, dans cet article, y apporte sa propre définition : « le
dynamisme naîtra des relations subtiles d’objets à objets », tout en
faisant de Cézanne un de ses précurseurs. (Voir chapitre Le
cubofuturisme, c’est aussi ce que dira Malévitch.)
Dans le premier numéro de Montjoie ! sont
également publiés des articles favorables au cubisme et à l’orphisme qui
prêtera bientôt à une nouvelle polémique autour de la notion de simultanéisme.
(Voir dernier chapitre : L’orphisme.)
Voir d’autres œuvres présentées dans la salle « Hybridations »
● Sur le site de l’Art Institute of Chicago
Juan Gris, Hommage à Pablo Picasso, 1912● Sur le site du Peggy Guggenheim collection, Venise
Jean Metzinger, Le Cycliste, 1912
Cubisme →
futurisme
umberto
boccioni / gino severini / giacomo balla
Umberto Boccioni
Boccioni dans son atelier, vers 1913 avec,
au premier
plan, la sculpture Synthèse du dynamisme humain (œuvre détruite ?).
© Centre Pompidou −
Bibliothèque Kandinsky
Boccioni – le « prince des futuristes », disait Duchamp – rédige, à partir de 1912, Dynamisme plastique. Peinture et sculpture futuristes, un ouvrage à placer, écrit G. Lista, « à côté des plus importants textes sur l’art que nous ont légués les avant-gardes de la première moitié du siècle ». (Dynamisme plastique. Peinture et sculpture futuristes, 1914. Préface de Giovanni Lista. Edition L’Âge d’Homme, Lausanne, 1975.)
Une première synthèse cubofuturiste. En introduction il dit vouloir apporter une explication aux thèses futuristes restées incomprises. On y lit surtout la volonté d’élucider la différence entre futurisme et cubisme, d’ancrer le futurisme dans l’impressionnisme, de prouver la paternité futuriste des principes de dynamisme et de simultanéisme – pour le dynamisme c’est essentiellement Léger qu’il interpelle, et pour le simultanéisme Delaunay. On y lit pourtant le désir d’un ton plus conciliant avec les cubistes − surtout avec Picasso −, en imaginant une première synthèse cubofuturiste : « Nous voulions un complémentarisme de la forme et de la couleur. Nous faisions donc une synthèse des analyses de la couleur [divisionnisme de Seurat, Signac et Cross] et des analyses de la forme [divisionnisme de Picasso et Braque] (p.83).
Le dynamisme, c’est : « objet + milieu ». Au centre de la démonstration : l’impressionnisme qui fut l’ébauche du dynamisme : « S’il appartint aux impressionnistes de s’intéresser à la lumière et à la
couleur, en donnant les formes comme des ébauches dynamiques, il nous
appartient à nous de […] créer […] une forme définitivement liée à la couleur »
(p.50).
Cette nouvelle synthèse forme-couleur, c’est dans la
vie de la matière qu’elle puise son renouvellement. La matière n’est que l’effet
d’un double mouvement : le mouvement absolu de l’objet (« son mouvement caractéristique particulier ») et son mouvement relatif (« les transformations que l’objet subit dans ses déplacements en
relation avec le milieu »).
Le
dynamisme, c’est : « objet + milieu », c’est-à-dire la combinaison des deux
mouvements et l’intégration de la durée −
on comprend, dès lors, que la vitesse et les machines jouent, ici, un rôle
essentiel. La simple décomposition cubiste des formes d’un objet n’est donc pas
une expression du dynamisme.
Les notions de compénétration
des plans, de lignes-forces sont des moyens plastiques pour traduire le dynamisme « objet +
milieu ». Cette architecture du
tableau n’a pas de règles a
priori. Elle naît de l’intuition
plastique, « l’acte par lequel l’artiste se fond dans l’objet pour
vivre son mouvement caractéristique » (p.86).
La traduction plastique du dynamisme « objet +
milieu » par l’intuition est ce qu’il appelle les États d’âme. Rien, donc, de sentimental, dans cette notion.
La simultanéité représente l’ensemble de ces données.
(Voir chapitre Le Manifeste du futurisme / Bergson, une philosophie du devenir.)
Umberto
Boccioni, Costruzione orizzontale (volumi orrizontali), 1912
[Construction horizontale ou Volumes horizontaux]
Huile sur toile, 95
x 95,5 cm
Bayerische
Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne, Munich
Dernière toile d’une série de trois œuvres sur le même thème, Construction horizontale se distingue des deux autres (La Rue entre dans la maison, 1911 et Matière, 1912) par une figuration étonnamment traditionnelle. Le sujet − au centre de la composition, une vieille femme assise pose sur un balcon, les mains croisées sur les genoux −, la palette − des bleus sombres et des ocres −, la géométrisation des formes − notamment dans la demi-partie haute de la toile −, semblent donner des gages au cubisme.
Des dessins préparatoires montrent qu’il hésita avant de représenter sa mère de profil ou de face. Boccioni semble s’imposer, ici, un ensemble de contraintes pour mieux réaliser les principes futuristes : la compénétration des plans, la fusion du personnage avec son environnement. Tête et corps forment une architecture de surfaces vibrantes et en spirale, se superposant jusqu’à se confondre avec la balustrade qui s’élève à gauche jusqu’à mi-hauteur de la toile, les bâtiments et la rue du second plan. La mère de l’artiste est le cœur de la structure vibratoire qui unifie l’ensemble des éléments du tableau.
Gino Severini
Gino Severini, Nature morte au journal Lacerba, 1913
Encre de Chine, crayon,
fusain, gouache et craie sur papier, 50 x 68 cm
Fonds national d’art
contemporain, Ministère de la culture et de la communication, Paris
Gino Severini reprend, dans ce collage, le procédé inventé par Picasso et Braque au printemps 1912, le papier collé, avec son sens heureux de l’expérimentation. Chaque forme, chaque morceau de « matière » est, dans le jeu de la compénétration, à la fois plan et ligne, ton et rythme, accumulant une richesse de sensations visuelles et tactiles : le motif du bois de la table, la transparence du verre, l’épaisseur onduleuse du carton. À gauche, comme dans les collages cubistes, apparaît une partie du titre de la revue Lacerba, revue futuriste dans laquelle écrivent Boccioni, Marinetti, Carrà… mais qui s’ouvrent aussi aux peintres et écrivains français. Hybridations, donc, là aussi.
A partir de 1916, Severini se détachera du mouvement futuriste pour rejoindre Picasso, Braque, Gris, Léger, Laurens et Metzinger autour de Léonce Rosenberg qui lui organisera en 1918 une exposition dans sa galerie de l’Effort moderne.
Voir une autre œuvre de Severini présentée dans la salle « Hybridations »
● Sur le site du Centre Pompidou
Gino Severini, Portrait de Paul Fort, 1915
Giacomo Balla
Balla, un des cinq signataires du Manifeste des Peintres futuristes, n’avait pas exposé à la galerie Bernheim-Jeune, en février 1912. Boccioni – qui avait été avec Severini son élève à l’Académie des Beaux-arts de Rome – avait jugé que la conversion futuriste de son ancien maître n’était pas suffisamment explicite. Un an plus tard, Boccioni écrit à Severini : « Balla nous a époustouflés car non content de faire une campagne futuriste comme tu imagines bien qu’il peut faire, il s’est lancé dans une transformation complète. […] » (G. Lista, Giacomo Balla futuriste, L’Âge d’homme, 1984, p.44).
Giacomo Balla, Bambina che corre sul balcone, 1912
[Jeune Fille courant
sur le balcon]
Huile sur toile, 125 x 125 cm
Galleria d’Arte Moderna,
Milan. Collection Grassi, Milano
En 1912, le peintre réalise, peut-être en réaction à sa mise en cause par Boccioni, trois œuvres : Dynamisme d’un chien en laisse, la Main du violoniste et Jeune Fille courant sur le balcon, dans lesquelles il s’attache à représenter la « sensation dynamique elle-même » (7e point du Manifeste des Peintres futuristes). Avec Jeune Fille courant sur le balcon, réalisée à partir d’études de mouvement par le photographe Etienne-Jules Marey, il réussit à rendre l’illusion de la marche de son modèle : « Il intéressera les artistes parce que j’y ai fait une étude spéciale sur la façon de marcher de cette jeune fille, et en fait, j’ai réussi à rendre l’illusion qu’elle est en train d’avancer. (Lettre de G. Balla, dans G. Lista, Balla, catalogue raisonné, 1982.)
A la différence de Duchamp (voir chapitre suivant), où le mouvement du Nu est obtenu par une succession de positions statiques, Balla dissolue sa figure par la couleur et une touche héritée de son passé postimpressionnisme. Il applique, ici, un autre point du Manifeste : « le mouvement et la couleur détruisent la matérialité des corps ».
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